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Affaire Karim Wade : vers une amnistie non désirée ?

Lundi 29 Novembre 2021

Depuis bientôt dix ans, l’affaire Karim Wade rythme la vie politique sénégalaise. C’est en effet à la fin de 2012 que les premières auditions préliminaires de l’ancien ministre, fils du président Abdoulaye Wade, ont été menées par la section de recherche de la gendarmerie.

Condamné pour enrichissement illicite, en mars 2015, à six années de prison et 138 milliards de francs CFA d’amende (210 millions d’euros), Karim Wade avait été gracié en juin 2016 par le président Macky Sall. Depuis lors, il réside au Qatar.

Manifestement dissuadé de retourner au Sénégal en raison de la lourde amende qui pèse sur lui, une situation qui pourrait lui valoir une nouvelle incarcération au titre de la contrainte par corps, mais aussi déclaré inéligible avant la présidentielle de 2019, celui que le Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition) considère comme son candidat à la présidentielle de 2024 pourrait-il revenir dans le jeu si ces entraves étaient levées ?

Virage politique
C’est ce que laissent entendre les instructions données par Macky Sall, le 29 septembre, à l’occasion du Conseil des ministres. « Abordant la consolidation du dialogue national et l’ouverture politique, le président de la République demande au garde des Sceaux, ministre de la Justice, d’examiner, dans les meilleurs délais, les possibilités et le schéma adéquat d’amnistie pour des personnes ayant perdu leur droit de vote ».


Parmi les personnalités politiques correspondant à ce portrait-robot, outre l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, figure bien sûr Karim Wade. Désigné en 2015 candidat du PDS à la présidentielle, il n’avait pu se porter candidat, en 2019, car le Conseil constitutionnel l’avait déclaré inéligible. Alors que se profile l’élection de 2024, à laquelle Macky Sall n’est pas censé se représenter en raison de la limitation des mandats inscrite dans la Constitution, cette perspective d’amnistie pourrait donc marquer un virage important dans la vie politique nationale.

À ce stade, pourtant, plusieurs questions se posent auxquelles il est bien délicat d’apporter des réponses définitives.

Grâce, amnistie… quelles différences ?
En juin 2016, Karim Wade avait été gracié par Macky Sall. Au milieu de la nuit, il avait donc quitté la prison de Rebeuss avant le terme de sa peine et quitté le Sénégal à bord d’un jet privé affrété par l’émir du Qatar après avoir été accueilli sur le tarmac par le procureur général de l’émirat. Cette grâce le dispensait de purger jusqu’à son terme sa peine de six années de prison. Mais elle n’effaçait pas pour autant sa condamnation ni l’amende pharaonique à laquelle il avait été condamné par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI).

La mesure dont il est aujourd’hui question va bien plus loin, puisqu’il s’agit d’une amnistie. Autrement dit, de l’effacement par la loi de sa condamnation. Contrairement à une grâce présidentielle, une mesure d’amnistie n’est pas une mesure individuelle. Il s’agit d’une mesure d’ordre général, issue d’une loi spécialement votée. Elle bénéficierait donc à toutes les personnes qui ont été condamnées après avoir commis une ou plusieurs catégories d’infractions visées par ladite loi.


Autrement dit, si le projet de loi confié par Macky Sall à son ministre de la Justice devait se concrétiser, il devrait ensuite être adopté par l’Assemblée nationale, où la majorité ne dispose que d’une très courte avance sur l’opposition (83 sièges sur 165). D’ores et déjà, Karim Wade a fait savoir, par l’intermédiaire de la porte-parole du PDS, Nafissatou Diallo, qu’il démissionnerait du parti fondé par son père si, d’aventure, les députés du PDS votaient en faveur de cette amnistie dont lui-même refuse de bénéficier.

Ce que souhaite vraiment Karim Wade
L’ancien « ministre du Ciel et de la Terre » refuse tout blanchiment judiciaire au rabais, ce que représenterait à ses yeux une telle amnistie. Il revendique en effet une révision de son procès pour enrichissement illicite, en espérant qu’il se solderait, cette fois, par une relaxe.

Si Karim Wade bénéficiait d’une amnistie, celle-ci effacerait à la fois la peine de prison et l’amende de 138 milliards de francs CFA, qui seraient alors gommées de son casier judiciaire. Last but not least, Karim Wade recouvrirait, par la même occasion, ses droits civiques. Il serait donc en mesure de concourir à la présidentielle de 2024.

« L’amnistie est programmée pour les coupables. Ce qui n’est pas le cas de l’ancien ministre Karim Wade », clame Nafissatou Diallo, la secrétaire générale à la communication du PDS. Jointe par JA, celle-ci confirme que l’intéressé « ne veut pas d’une amnistie et demande à être rejugé ». Selon cette députée, « l’honneur n’a pas de prix ».

Une révision, sous quelles conditions ?
Mais Karim Wade peut-il raisonnablement espérer une révision de son procès ? Selon l’article 92 de la loi organique du 17 janvier 2017, une disposition serait de nature à susciter cette mesure, comme l’a confirmé à JA l’avocat Abdoulaye Tine : « Lorsque, après une condamnation, un fait vient à se produire ou se révéler, ou lorsque des pièces inconnues lors des débats apparaissent, et sont de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné, la révision d’une condamnation pénale définitive peut être demandée. »

Dans ce cas, toujours selon le même article, « le droit de demander la révision appartient au garde des Sceaux, ministre de la Justice, seul, qui statue après avoir pris l’avis d’une commission composée des directeurs de son ministère, du procureur général près la Cour suprême et d’un magistrat du siège de la Cour suprême désigné par le premier président ».

Reste une question, et non des moindres : Karim Wade a-t-il déjà manifesté officiellement son souhait d’obtenir une révision auprès du ministre de la Justice ? Ni son avocat ni la secrétaire générale à la communication du PDS n’ont apporté de réponse claire à cette question.


Si un tel scénario se précisait, Karim Wade repartirait pour un tour, sans avoir aucune garantie quant à l’issue d’un second procès. D’abord parce que plusieurs acteurs importants du dossier sont aujourd’hui hors du Sénégal, comme les hommes d’affaires Ibrahim et Karim Aboukhalil, que la CREI avait considérés comme les hommes de paille de Karim Wade. Mais aussi parce que ce dernier resterait confronté – pour ne prendre que cet exemple – à la nécessité d’expliquer la provenance des deux millions d’euros trouvés à Monaco sur un compte bancaire à son nom.

Pour seule explication, Karim Wade avait brandi, durant l’instruction, une attestation de son père, Abdoulaye Wade, assurant que cette somme provenait d’un « don personnel » du roi d’Arabie saoudite, laquelle aurait été placée par son fils sur un compte spécialement ouvert à cet effet. Mais à eux seuls, ces fonds d’origine mystérieuse pourraient, en cas de révision, inciter les magistrats à prononcer une nouvelle condamnation pour enrichissement illicite.

Karim Wade peut-il obtenir gain de cause ?
Officiellement, le projet de loi d’amnistie dont Macky Sall a pris l’initiative est censé faciliter un apaisement de la vie politique, à quelques mois de la prochaine présidentielle. Certains détracteurs de l’actuel président y voient malgré tout des arrière-pensées inavouées. Pour les uns, Macky Sall espèrerait ainsi morceler l’opposition et fragiliser sa principale bête noire, l’opposant Ousmane Sonko (Pastef), en amnistiant Karim Wade et Khalifa Sall.

Pour les autres, l’actuel chef de l’État profiterait de cette amnistie (se rapportant à des faits commis durant une période dont les dates n’ont pas encore été définies) pour exonérer ses proches – voire lui-même – d’actes répréhensibles commis durant ses deux mandats.


Jeune Afrique 
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