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Covid-19 : L’inquiétante disparition des autorité

Jeudi 4 Février 2021

Considérés comme les figures de proue de la lutte contre la pandémie du Covid-19 au Sénégal et au-devant de la scène depuis le début, ils se sont effacés d’un coup, suscitant moult interrogations. Ils, ce sont le Dr Moussa Seydi, le Dr Abdoulaye Bousso, Dr Marie Khémesse Ngom Ndiaye et même le ministre Abdoulaye Diouf Sarr… Une attitude diversement appréciée par les spécialistes de la communication.




«Tant qu’il n’y a rien d’extraordinaire, rien de spécifique, quelque chose en termes d’orientation stratégique nouvelle, je préfère laisser les techniciens gérer cette information basique. Mais le jour où il y aura quelque chose du point de vue stratégique, du point de vue de l’orientation ou quelque chose de spécifique, j’apprécie la situation et vois si c’est le ministre qui doit monter au créneau pour parler aux Sénégalais, je le fais conformément aux orientations du chef de l’Etat.» Le ministre de la Santé répondait ainsi, il y a quelques mois, à la question de savoir si on le reverrait sur le petit écran pour faire le point sur la situation de la pandémie au Sénégal. Ce, après avoir constaté son retrait de la scène médiatique, au plus fort de la crise. Mais à l’heure actuelle, force est de constater qu’il y a quelque chose d’extraordinaire qui est en train de se passer et mériterait qu’Abdoulaye Diouf Sarr revienne au-devant de la scène. Lui ou du moins les figures emblématiques qui ont porté le combat depuis l’apparition des premiers cas au Sénégal. Ils ont pour nom Dr Moussa Seydi, Dr Abdoulaye Bousso, Dr Marie Khémesse Ngom Ndiaye... Ils ont toujours été en première ligne dans cette lutte contre la pandémie. Sur les plateaux de télévisions et en première page des journaux, ils ont beaucoup communiqué sur la maladie. Mais aujourd’hui, ils se contentent de sorties sporadiques et espacées. Alors que la deuxième vague du Covid-19 prend de plus en plus d’ampleur au Sénégal, avec un nombre d’infections qui va crescendo, de même que le nombre de morts, leur présence est réclamée pour impulser davantage la communication des autorités sanitaires. Leur silence et leur retrait deviennent intrigants et sont décrits comme une erreur de communication.


«On a l’impression qu’ils ont abdiqué, c’est une erreur de com’»
«Au début, on les a trop entendus, ils étaient même devenus des stars, pensant qu’ils avaient réglé le problème, explique Seydou Nourou Sall, Dr en Sciences de l’information et de la communication. Mais maintenant, on ne les entend plus et c’est une erreur de communication. Il faut que les gens les entendent, parce que ce sont eux qui gèrent l’aspect sanitaire, ce sont eux qui gèrent cette maladie. Mais on a l’impression qu’ils ont abdiqué, et c’est un mauvais signal pour le moral de la population. Il faut qu’ils ressortent un peu, comme ils le faisaient au début, qu’ils fassent de la communication en délivrant des messages à la population.» Mais ils ne doivent pas être les seuls à communiquer, ajoute le spécialiste, qui estime qu’il faut passer à l’engagement communautaire et impliquer tout le monde. «Je pense que la stratégie a été faussée dès le départ, parce qu’au début, c’était une affaire d’experts, ce sont les experts qui se faisaient entendre. Ce qui est normal parce qu’ils sont les définisseurs primaires qui permettent aux médias de définir une situation. Mais il fallait également élargir et écouter les autres, tels que les religieux, les organisations de la société civile, les syndicalistes… pour voir ce qu’ils pensent de la situation et proposer des solutions. Mais on n’a écouté que les experts et ce sont eux qui ont décidé de ce qu’il fallait faire, les décisions n’ont pas été prises d’une manière consensuelle. Ça a été une affaire de l’Etat et des experts de l’Etat. Et forcément ces décisions ne pouvaient pas être respectées, raison pour laquelle, après trois mois de couvre-feu, les gens ont commencé à manifester et l’Etat a reculé.»



«Il y a eu saturation, c’était presque devenu une mise en scène»
Mais pour Dr Marième Pollèle Ndiaye, également Dr en Sciences de l’information et de la communication et enseignante à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, il y a eu saturation à un certain moment, concernant ces figures de proue de la lutte contre le Covid-19. «Il y a l’effet de saturation, à un moment donné, c’était devenu pratiquement une mise en scène. Certains jeunes s’amusaient même à parier sur le nombre de cas qu’il y aurait, c’était devenu de l’événementiel en quelque sorte. Et c’est problématique, ces figures étaient exposées. Est-ce que les gens les regardaient parce que tout le monde avait conscience des messages qu’ils divulguaient, ou alors juste pour connaître le nombre de cas ?» Selon elle, cela montre que le message n’est pas passé. «Parce qu’on a plusieurs publics, mais dans la communication gouvernementale, on a l’impression que l’on s’adresse à un seul public unifié. Mais il y a différents profils et on ne doit pas utiliser les mêmes arguments pour tous. Les gens s’habituent aux visages, mais il ne serait pas mal d’avoir de nouvelles personnalités.» Analysant la communication gouvernementale d’une manière globale, Dr Ndiaye estime qu’elle est caractérisée par une polyphonie discursive. «Il y a plusieurs discours et ce n’est pas forcément homogène. Chaque ministère essaie de faire une communication pour montrer qu’il est engagé en faveur de la lutte contre le Coronavirus, et cela peut faire désordre aux yeux des populations. Parce qu’on sent toujours dans la communication gouvernementale des enjeux politiques et on pourrait prendre cela comme une des causes qui expliqueraient le fait que le message ne passe pas très bien auprès du public.» Marième Pollèle Ndiaye croit savoir que l’on parle d’échec de la communication gouvernementale parce que, depuis le début, on est dans une communication qui se veut persuasive et qui est principalement basée sur le langage de la peur. «Et on sait que ce langage montre ses limites, on a essayé de faire peur aux gens et à force, on a eu l’effet inverse. On est arrivé à une banalisation du Coronavirus. Et il y a aussi les paradoxes dans la communication gouvernementale, on ne peut pas demander aux gens de respecter les gestes barrières pendant que des autorités n’en font rien. De même, certains rassemblements qui sont autorisés alors que l’interdiction est là.  Autant de paradoxes qui montrent les limites de la communication gouvernementale.» 



«Ce n’est plus une affaire d’experts ou d’Etat, c’est une affaire de la population»
Le constat est que, malgré la situation de la pandémie qui empire chaque jour, la stratégie du gouvernement n’évolue pas. Le variant britannique du virus, réputé plus contagieux et agressif, a même été détecté dans le pays. Mais malgré cela, les autorités du ministère de la Santé semblent piétiner. «Aujourd’hui, il faut corriger en faisant de l’engagement communautaire, aller à la base et impliquer tout le monde, indique Dr Seydou Nourou Sall. Ce n’est plus une affaire d’experts ou d’Etat, c’est une affaire de la population, il faut en faire une affaire du peuple et c’est uniquement de cette manière que l’on pourra inciter les gens à respecter les gestes barrières. On a donné aux gens l’impression qu’on leur imposait une attitude et un comportement, alors que la communication n’est pas coercitive, il faut amener les gens à changer de comportement par le dialogue, parce que si on les force, ils se braquent. Et c’est ce qui a été constaté.» Dr Sall insiste également sur le porteur du message, qui doit être un émetteur crédible. «Il faut que la personne chargée de faire passer le message ait de la compétence et de la crédibilité, les gens ont tellement perdu confiance aux hommes politiques qu’ils ne les écoutent plus. Il faut donc choisir des gens qui ont de la crédibilité et de l’influence sur une partie de la population.» Sur la même lancée, Dr Marième Pollèle Ndiaye signale qu’il est nécessaire de s’adapter à nos terreaux culturels. «On ne peut pas prendre les mêmes modèles de communication qui nous viennent de l’Occident et les plaquer à nos contextes locaux. L’erreur qui a été faite, à mon avis, c’est d’essayer d’uniformiser la communication. Il faut aller sur le terrain, sensibiliser les gens en prenant des exemples concrets, qui les touchent directement. Il faut comprendre comment les gens fonctionnent, parler le même langage qu’eux et impliquer les communautés concernées. Le problème, c’est que les gens ne comprennent pas, les autorités devraient adapter leurs communications à leurs publics, parce qu’il y en plusieurs.» 
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