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Marina Kabou, chargée de recherche au REMIDEV : « Les mouvements migratoires, personne ne peut les stopper du jour au lendemain »

Mardi 18 Octobre 2022

Face à une politique migratoire européenne faisant la part belle au refoulement et à la répression, des voix s’élèvent en Afrique. Parmi elles, celle de Marina Kabou, chargée de recherche au Réseau sénégalais pour la migration et le développement (REMIDEV), qui a accordé un entretien à nos confrères de Cncd.be. En visite à Bruxelles récemment, malgré les difficultés de visa, elle a plaidé pour une autre voie, celle du développement et du droit à la mobilité.

Quelques heures à peine avant de décoller de l’aéroport de Dakar en direction de Zaventem, le visa de Marina Kabou n’avait toujours pas été délivré par les autorités belges. Confrontée à la politique migratoire de plus en plus restrictive de la Belgique et de l’Union européenne, la jeune femme, venue pour participer à Bruxelles au Sommet des Peuples sur les migrations, ne décolère pas, mais ne s’en étonne pas pour autant. Marina Kabou connaît bien le contexte migratoire euro-africain. En effet, elle est chargée de recherche au REMIDEV (Réseau pour la migration et le développement), un partenaire du CNCD-11.11.11 sur les questions de politiques migratoires. Il est pour l’heure de plus en plus compliqué d’obtenir des chiffres et des données fiables sur les mouvements migratoires au Sénégal et au sein de l’Afrique de l’Ouest. Lors d’une mission au Maroc, REMIDEV avait notamment pu constater la difficulté croissante d’accès aux données et aux personnes concernées. Il avait également été difficile pour l’association de récolter des informations sur les conditions de vie des exilées. En effet, les associations de défense des droits humains sont rarement bien vues par les pays où se trouvent les camps de transit et peu communiquent publiquement sur les mouvements de leur population. Pour Marina Kabou, la coopération entre l’agence européenne Frontex et les pays dits de départ est un pas supplémentaire vers une criminalisation des personnes migrantes, qu’elles soient désireuses ou contraintes de se déplacer.

FRONTEX : UN BUDGET GÉANT MALGRÉ DES VIOLATIONS DE DROITS HUMAINS

« Il faut comprendre que la politique d’accueil de la Belgique, et de l’Union européenne plus largement, est avant tout une politique de refus systématique d’octroi de visa, peu importe les raisons de la demande » analyse Marina Kabou. Externalisation des politiques migratoires, renforcement des contrôles, politique du « retour »… l’UE et son agence chargée du contrôle des frontières, Frontex, semblent avoir entamé une surenchère dans la restriction du droit d’asile et de la migration internationale en direction du territoire européen. Dotée d’un budget annuel proche du demi-milliard d’euros, Frontex disposera d’ici 2027 de plus de 10 000 agents armés et suréquipés en matériel (bateaux, avions, outils de surveillance).Frontex est pourtant sous le feu de nombreuses critiques pour son action au-delà des frontières européennes et le peu d’intérêt qu’elle porte aux droits humains des personnes exilées. Le nombre nécessaire d’officiers chargés de vérifier le respect des droits fondamentaux pendant les opérations de Frontex, par exemple, n’a toujours pas été atteint.

Associations de défense des droits humains et ONGs ont récemment publié de nombreux rapports sur l’action parfois illégale du personnel de l’agence. En Libye et en Turquie, l’agence est accusée de complicité dans la violation des droits humains, d’atteintes à la protection des données ou encore de ne pas avoir porté secours à des personnes migrantes naufragées. « Frontex n’a qu’un objectif : réprimer » souligne Marina Kabou dans toujours dans le site cncd.be. L’externalisation du dispositif de contrôles frontaliers, dans le cadre de laquelle Frontex obtient un rôle de plus en plus important de négociation directe avec des pays africains, pose également question. « Cette agence est présente dans de nombreux pays de l’Afrique de l’Ouest avec pour but de pousser les pays de migration à restreindre l’accès à l’Europe, peu importe les moyens. Frontex n’a aucun devoir de transparence envers nos concitoyens (seulement vis-à-vis des citoyens européens) : ses agents contrôlent nos passeports sur notre territoire, ils autorisent ou non nos déplacements … C’est tout simplement contraire aux droits humains ».

Marina Kabou sait de quoi elle parle : peu avant de prendre l’avion pour rejoindre la Belgique, c’est une employée de Frontex qui a contrôlé son passeport et visa, bien que toujours sur le territoire sénégalais. Après avoir refusé de montrer les papiers exigés à une inconnue qui ne possédait, légalement, aucun droit de regard sur ses déplacements, la chargée de recherche a dû faire des pieds et des mains, multipliant les coups de téléphone et les preuves de ses intentions sur le territoire européen pour obtenir son visa et enfin pouvoir accéder à la zone d’embarquement. « Je déplore cette attitude de l’UE car ça ne fait qu’aggraver la situation. On pourrait utiliser l’argent de Frontex pour former les jeunes sur place et encourager leur avenir au Sénégal. La politique de Frontex et de l’Union européenne ne fait qu’engendrer de plus en plus de morts. Si les gens veulent partir, ils le feront, c’est impossible à arrêter. Depuis la nuit des temps, les peuples se sont toujours déplacés ». Pour REMIDEV, la solution est ailleurs : offrir une autre voie, une solution plus proche et durable. « Notre pays a un potentiel énorme : nous avons la jeunesse, les richesses du sol et un potentiel de développement exponentiel. À terme, la migration va changer et le Sénégal pourrait devenir une zone d’arrivée et non une zone de départ ».

PERMETTRE À CHACUN DE TROUVER UNE VOIE

Les projets alternatifs proposés par REMIDEV sont nombreux et touchent différents acteurs de la société sénégalaise. En plus de défendre le droit à la mobilité, le réseau propose un éventail de formations à l’emploi (plomberie, électricité ou encore agriculture). Deux jeunes sur trois qui entament les formations de l’association trouvent du travail immédiatement. « De nombreuses personnes partent à l’étranger (au Maroc ou en Espagne) pour effectuer des métiers qu’ils pourraient faire ici et dans de meilleures conditions. Notre objectif, c’est de créer un réseau d’information pour permettre à tous de trouver leurs voies sans risquer leurs vies ». Enjeu titanesque, la question des migrations est également mal connue du grand public. Alors que 70% des migrations africaines se font au sein même du continent et que seulement 15% des migrations africaines ont pour destination l’Europe, les causes de ces mouvements de populations ne cessent de se multiplier et de s’intensifier : guerres, persécutions, mais aussi catastrophes écologiques. Au Sénégal, REMIDEV intensifie par exemple son travail avec les communautés de pêcheurs, durement impactées par la surexploitation des zones de pêches par les multinationales, notamment européennes. Dans ce cas comme dans de nombreux autres, Marina souligne les incohérences des politiques européennes. Pour elle, le combat continue : « Les mouvements migratoires ont toujours existé et personne ne peut les stopper du jour au lendemain : on ne peut pas arrêter la mer avec ses bras. Il faut s’adapter et trouver des solutions à long terme. Je suis convaincu que nous y arriverons : l’Afrique est le continent de l’avenir ».
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