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Brice Laccruche Alihanga ancien directeur de cabinet de Ali Bongo brise le silence : "Ce coup d'Etat a été..."

Mercredi 31 Janvier 2024

Résurrection… Brice Laccruche Alihanga, 44 ans, revient de l’enfer. Le jadis omniprésent directeur de cabinet du président Ali Bongo Ondimba, qui l’avait nommé à ce poste en août 2017, n’est plus le même homme. Arrêté le 3 décembre 2019, il a passé près de quatre longues années en prison, dans des conditions atroces : à l’isolement total, privé de tout contact ou visite – y compris de ses avocats ou de sa famille –, de lumière, de paillasse… Il avait perdu 37 kilos, il en a repris moins d’une dizaine depuis sa libération. Libéré le 20 octobre 2023 après quatre années d’une détention inhumaine, l’ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba a profondément changé. Il a rencontré Dieu, revécu sa chute, et réfléchi, surtout, au système qui a fini par le trahir. Il brise le silence, en exclusivité pour Jeune Afrique.

Vous avez été libéré, le 20 octobre 2023, après quatre années de détention. Comment vous sentez-vous, et quels sont vos sentiments ?

 Je suis debout, toujours vivant, et ce, malgré les vicissitudes de ces quatre années passées non pas simplement en prison mais à l’isolement total, dans une pièce aveugle. Je me sens renaître, même si, comme vous pouvez le concevoir, revenir de la vallée des morts ne peut vous laisser inchangé. Les séquelles psychiques et physiques demeurent, aussi ma priorité est de me rétablir totalement et le plus rapidement possible. Je reste persuadé que l’Éternel ne m’a pas préservé durant tout ce temps sans raisons. Le crayon de Dieu n’a pas de gomme…

Beaucoup a été dit et écrit sur vous, sur vos origines, votre parcours, votre ascension et votre rôle auprès d’Ali Bongo Ondimba. Mais vous-même n’en avez jamais parlé…

Pour résumer, j’ai eu un parcours de vie atypique, mais dont je reste fier même si les années d’isolement en cellule m’ont appris à relativiser des éléments que l’on considère comme des motifs d’orgueil. Tout d’abord, je me considère comme totalement Gabonais, même si ma couleur de peau pourrait ne pas l’indiquer pour qui ne me connaîtrait pas. C’est un sujet dont certains se sont emparés pour créer des amalgames, qui, dans une autre vie, m’attristaient, mais qu’aujourd’hui je considère comme anecdotiques. Chez nous, les Bantous, et en particulier chez les Obambas, un adage dit : « L’enfant appartient à celui qui l’élève ».


Cela n’enlève rien au fait qu’aujourd’hui je ferais les choses différemment. La prison, et notamment les conditions de détention qui ont été les miennes, poussent à se remettre en question. Après avoir traversé toutes ces épreuves, je me rends compte que nous, Gabonais qui occupions à l’époque des postes à responsabilité, aurions pu adopter une autre approche, dans certaines situations. Par exemple, au cours de la période qui a suivi l’AVC du président. Nous avons alors tous préservé un équilibre précaire par crainte d’une effusion de sang, d’autant que certains sécurocrates étaient déjà dans une optique de terre brûlée.

À cette époque, j’ai reçu plusieurs fois la visite d’individus cagoulés et lourdement armés qui me menaçaient afin de préserver le statu quo. J’ai constaté qu’au Gabon l’intérêt prime la raison, surtout dans les cercles influents de l’État. Je le regrette, et j’ai payé très cher ces erreurs. Encore une fois, avec le recul que me donnent mes quatre années d’isolement total et de destruction méthodique de ma vie, cela m’a été, in fine, bénéfique sur le plan moral.

J’ai pu longuement ressasser tout cela durant les longues journées, semaines, mois et années que j’ai passées totalement seul. Quand vous êtes longtemps privé de tout, livré à vous-même, sans lecture, sans divertissements, sans repère temporel, sans lumière ni visites, vous en revenez à l’essentiel. Pour moi, l’espoir est né de ma rencontre avec l’Éternel, non par une sorte d’illumination mais par une certaine résonance, toute proportion gardée, entre ma vie et le parcours de Paul de Tarse, devenu Saint Paul. De pêcheur et persécuteur des chrétiens il est devenu celui qui a le plus propagé la foi dans le monde après le Messie. C’est le sens que je donne au fait que je suis encore parmi vous aujourd’hui. Comme l’a dit Mandela, « un saint est un pêcheur qui cherche à s’améliorer ».

Revenons sur les origines de votre arrestation, et sur les conditions dans lesquelles celle-ci s’est déroulée, le 3 décembre 2019…

C’est un secret de polichinelle : Sylvia Bongo a toujours eu un réel ascendant sur le reste de sa famille. Il semble qu’au fil du temps elle nous a considérés, [mes proches] et moi en particulier, comme des obstacles à son projet de confiscation du pouvoir, lequel était adossé à son fils, élément central de sa stratégie. Après l’AVC du président, en octobre 2018, il devenait clair que je devenais gênant : nous retardions autant que possible la conclusion de contrats qui semblaient désavantageux [pour le pays] ; nous faisions des remarques, qui n’étaient pas appréciées, sur l’état de santé du chef de l’État, qui se dégradait ; nous déconseillions toute transmission héréditaire du pouvoir à son fils, etc.

Il m’a alors été instruit d’organiser une tournée afin de détourner l’attention et de permettre au chef de l’État d’aller à Londres pour y recevoir des soins. Cette tournée est devenue le motif tout trouvé de mon éviction : je n’ai plus eu accès au président, j’ai été démis de mes fonctions, et une machine implacable, adossée à une campagne de diffamation et de dénigrement médiatiques, a été mise en branle.

Tous ceux qui étaient censés être mes proches et moi-même avons été jetés en pâture. Nous avons été arrêtés pour des motifs fallacieux, à partir de dossiers montés de toutes pièces – sans preuves matérielles, ou reposant sur des montages vidéo faisant croire que de l’argent avait été retrouvé à mon domicile alors que les procès verbaux des perquisitions mentionnent le contraire. Bref, à partir de dossiers reposant sur des témoignages verbaux extorqués sous la contrainte ou en échange d’une libération.


Tout a été mis en œuvre afin me diaboliser, pour mieux me tenir au secret, m’empêcher de parler, sans que je puisse avoir accès à mes avocats hormis lorsqu’une audience se tenait. Quasiment toute l’administration judiciaire – des services d’enquête jusqu’au ministre de la Justice et à la prison centrale – a été remplacée juste avant ma mise au secret. La semaine de mon arrestation, Noureddin Bongo Valentin était nommé coordinateur général de la présidence et plaçait ce que l’on appelle désormais la Young Team à tous les postes clés de l’administration. CQFD…

Comme l’ont dit les autorités de la transition, la justice servait à régler des comptes et était instrumentalisée comme jamais dans l’histoire de ce pays. D’ailleurs, l’ONU, par la voix de son Groupe de travail sur la torture et les droits de l’homme, a, sur la base d’une enquête contradictoire avec le gouvernement de l’époque, statué que les actes que l’on nous faisait subir étaient d’une telle gravité qu’ils empêchaient toute équité procédurale, que nos arrestations étaient injustifiées. Il exigeait même notre libération immédiate. C’était en octobre 2020. Bien sûr, le pouvoir de l’époque n’en a eu cure et a fait fi de ses propres engagements multilatéraux.

Mais le temps remet toujours chaque chose à sa place. Les autorités de la transition souhaitent que la justice ne soit plus le réceptacle de règlements de comptes. Le président de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, est bien placé pour savoir que ces éléments ne reposaient sur rien de tangible. Il l’a affirmé très clairement dès sa prise de fonctions, devant la société civile, et encore lors de son séjour à Oyem [en décembre 2023] : « Les jeunes là-bas sont des innocents […]. Les enquêtes seront rouvertes, et les innocents sortiront [de prison] ».

Le président de la transition est un homme qui pèse ses mots, et c’est en tant qu’homme de parole et d’honneur qu’il a engagé un processus – nous sommes déjà quelques exemples – qui vise à permettre aux personnes concernées d’être réhabilitées et de retrouver leur famille. Nous faisons confiance à la justice pour la suite.

Comment avez-vous vécu le coup d’État du 30 août 2023, puis votre libération ?

Sur instruction du trio familial qui était à la tête du pays, nous avons été traités plus mal que ses animaux de compagnie. Ce « coup de libération » a été, pour nous, un véritable soulagement. Nous avions toujours voulu être confrontés à ceux que nous percevions comme nos bourreaux, mais ils avaient toujours refusé. Ma confrontation avec Sylvia Bongo Ondimba est arrivée comme un signe du destin. Me retrouver face à [une personne que je considère comme] un maillon-clé de l’enfer que j’ai vécu pendant toutes ces années a eu un effet cathartique. Pouvoir contribuer à démanteler le système est une occasion en or. Ces personnes doivent répondre de leurs agissements, et elles, contrairement à nous, ont la chance de pouvoir le faire dans un nouveau système, qui se veut plus juste et qu’on perçoit comme nettement plus humain. C’est tout ce que nous souhaitons.

Leurs avocats ou leurs proches disent, pourtant, qu’ils subissent de mauvais traitements et des actes de torture…

Je considère cela comme une rumeur. Aujourd’hui, Sylvia Bongo Ondimba ne peut pas avoir le culot de se plaindre. J’ai une idée de ses conditions de détention, qui sont aux antipodes de ce qu’ont été les miennes. Tous les Gabonais constatent que la justice fait son travail. À mon époque, c’était bien différent. Nos repas n’étaient pas préparés par un cuisinier personnel, comme je l’ai lu récemment à son sujet dans vos colonnes, nous n’avions ni lit ni ventilateur ni lumière du jour… Nos proches ont été soumis à des interrogatoires violents, et nos familles ont été détenues pendant des jours, voire des années dans le cas de mon propre frère de sang.

Au-delà de ma famille, que penser de mon aîné, Jean-Rémy Yama, qui n’a pu aller se faire soigner ni enterrer sa compagne, ou de mon autre frère, Renaud Allogho, dont l’épouse est morte durant sa période d’isolement ? Et je ne cite que deux exemples parmi tant d’autres, traités inhumainement durant cette période. De ce que je sais, car je me trouvais encore à la prison centrale plusieurs semaines après son arrivée, Sylvia Bongo Ondimba a toujours été traitée plus que correctement comparé aux autres détenues de la Maison d’arrêt des femmes (MAF). Ceci étant, ces personnes ont toujours vécu dans l’opulence, aux dépens du peuple gabonais. Elles peuvent donc se sentir « torturées » ou « malheureuses » parce qu’elles sont privées de leur cadre de vie, et notamment de leurs somptueuses maisons, comme on a tous pu le constater à la télévision. Évidemment, quand on fait transporter ses chiens en jet privé et qu’on se retrouve tout d’un coup à la MAF, cela peut faire un choc…

Pour le reste, je suis chrétien et ne conserve aucune rancœur, même après ce que j’ai vécu. Le pardon est la clé de l’oraison dominicale, il faut toujours garder à l’esprit qu’à l’Éternel seul revient la rétribution de chacun, et que rien ne demeure oublié à ses yeux.

Quel regard portez-vous sur la transition en cours ?

Cette période offre une chance exceptionnelle, celle de mettre le pays sur la voie d’un véritable développement. Les défis sont immenses, mais vu l’état du Gabon, il est plus facile de se redresser que de continuer à s’enfoncer. Cela concerne tout le monde. Les dirigeants doivent faire preuve de délicatesse, de patience et d’esprit d’ouverture. Si chacun y met du sien dans l’intérêt supérieur de la nation, cette transition sera un tremplin vers un Gabon meilleur. Le changement ne peut être imposé par décret. Il s’agit plutôt d’un processus, qui suppose une transformation profonde des mentalités.

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