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Sénégal : journalistes et politiques, un dangereux mélange des genres

Samedi 13 Novembre 2021

Proches du pouvoir aussi bien que de l’opposition, une dizaine de journalistes se sont portés candidats pour les élections du 23 janvier prochain. Au risque de brouiller les lignes ?

Près d’une dizaine d’entre eux se sont portés candidats aux élections locales du mois de janvier selon le Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias (Cored). Une situation assez inédite qui, le 2 novembre, a contraint Babacar Diagne, le président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), à rappeler à « tous les journalistes, animateurs, chroniqueurs qui sont candidats au poste de maire, président de conseil départemental ou conseiller municipal [qu’ils devront] laisser tomber leur profession de journaliste et être des politiciens purs durant toute la campagne ».

Directement visé, Ahmed Aidara, candidat de Yewwi Askan Wi (opposition) à la mairie de Guédiawaye et animateur-vedette de la Sen TV et de Zik FM, deux médias appartenant au groupe de presse D-Média de Bougane Gueye Dany, lui-même président de la coalition Gueum Sa Bopp. Ahmed Aidara rêve de ravir la mairie de Guédiawaye à Aliou Sall, le propre frère du président Macky Sall.


Visé aussi Racine Talla, directeur de Radiodiffusion télévision sénégalaise (RTS) et membre du bureau exécutif de l’Alliance pour la République (APR), le parti au pouvoir. Racine Talla est le maire sortant de la commune de Wakhinane Nimzatt dans le département de Guédiawaye. Quant à Thierno Amadou Sy, l’ancien présentateur du journal télévisé de 20h, il est candidat à la mairie de Nabadji Civol, dans la région de Matam (Nord) sur une liste concurrente à celle de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY).

Prolongement d’une passion
Son engagement à lui n’est pas nouveau. En 2018, il avait rallié le parti présidentiel, déclenchant une vive polémique sur les réseaux sociaux qui l’avait contraint à se mettre en retrait des plateaux de télévision. « Je considère mon engagement en politique comme un prolongement de ma passion pour les questions de développement quand j’étais journaliste, se justifie-t-il. À travers les émissions Leeral ou Deggo que j’animais entre 2009 et 2018, je m’intéressais déjà aux collectivités, aux difficultés des communautés ou aux violences faites aux femmes. Je me suis dit pourquoi ne pas m’engager et faire autrement ce que je faisais déjà en tant que journaliste. »

À Nabadji Civol, il sera notamment opposé à Abdoulaye Sally Sall, qui a été adoubé par BBY et qui brigue sa propre succession. « J’ai toujours désavoué la gestion de ce maire qui n’est pas un homme de défis et ne prend aucune initiative, poursuit Thierno Amadou Sy. Nous, nous voulons repositionner la commune pour qu’elle soit reconnue à sa juste valeur et nous allons y arriver. » Lui a surfé sur sa popularité médiatique en lançant son mouvement « Haa Yesso » en septembre 2018.


Ahmed Aidara a, lui, lancé son mouvement « Guediawaye La Bokk » un an plus tôt. « On pensait que c’était une initiative citoyenne, mais non, on s’est trompé, tacle un ancien collègue. Il avait déjà ses objectifs. Mais c’est une erreur de penser qu’avoir une forte audience à l’antenne permet une carrière politique fulgurante. »


L’animateur, qui présente une revue de presse en wolof tous les matins et ainsi que l’émission de faits divers Teuss !, est aussi populaire qu’il divise. « Il a un style théâtral, estime un autre confrère. Il pleurniche, rit, se moque des acteurs politiques dans ses émissions tout en plaidant pour sa propre chapelle. Il fait même de la publicité. C’est un mélange de genres terrible ! » « Ici, au Sénégal, beaucoup de grands journalistes font de la publicité ou prêtent leur voix [pour des spots]. Ce n’est pas nouveau », défend Mame Gor Ngom, ancien rédacteur en chef de la Tribune, qui voit en Ahmed Aidara « quelqu’un de sympathique et professionnel, qui aime son travail mais [qui] est très ambitieux. »

Deux poids, deux mesures
Contacté par Jeune Afrique, l’intéressé n’a pas répondu à nos sollicitations, peut-être trop occupé par le rejet des listes de la coalition dont il est membre dans différentes communes de Guédiawaye. Mais répondant dans la presse locale aux différents avertissements du CNRA, il dénonce le « deux poids, deux mesures » de l’autorité de régulation. « En 2014, Racine Talla était directeur général de la RTS et candidat à la mairie de Wakhinane Nimzatt. Il utilisait la télé pour faire de la propagande. Même s’il donnait trois boîtes de sucre, on filmait ça. [Le CNRA] n’avait pas sorti cette loi ! »

« Contrairement à Ahmed Aidara, qui présente des émissions à des heures de grande écoute, Racine Talla n’est pas présent à l’antenne », rétorque Ibrahima Bakhoum, conseiller en communication du CNRA. Le patron de la RTS est malgré tout en position d’interférer dans les choix éditoriaux de ces collaborateurs, reconnaît un membre de la corporation. « La RTS couvre les activités de toutes les mairies. Est-ce parce que j’en suis le directeur que je dois interdire la couverture des activités qui se passent dans ma commune et qui sont d’intérêts publics ? rétorque Talla, engagé aux côtés de Macky Sall depuis 2005, à une époque où ce dernier était Premier ministre. Et puis les journalistes peuvent témoigner qu’ils n’ont jamais reçu d’injonction. »



Le phénomène n’est pas nouveau, « mais il a pris de l’ampleur sous la présidence de Macky Sall », affirme Mamadou Thior, président du Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias. « Sous Abdoulaye Wade, on soupçonnait des journalistes d’avoir des accointances avec le pouvoir en place. Mais il était rare que les journalistes appartiennent ouvertement à un parti politique », ajoute-t-il.

Amalgame
Un réseau solide d’homme de médias favorables à Macky Sall a d’ailleurs contribué à son accession au pouvoir en 2012. Parmi eux, se trouve Abdou Latif Coulibaly, éditorialiste célèbre au Sénégal, qui fut un critique farouche d’Abdoulaye Wade et qui est aujourd’hui ministre secrétaire général du gouvernement. D’autres, comme Yakham Mbaye, directeur du quotidien Le Soleil, ou Thierno Birahim Fall, patron de l’Agence de presse sénégalaise (APS), sont des membres du bureau exécutif de l’APR.  L’éditorialiste Madiambal Diagne, qui est également à la tête de l’Union de la presse internationale francophone, est pour sa part réputé proche du chef de l’État. « Cela entretient l’amalgame et jette du discrédit sur la profession, regrette encore Mamadou Thior. Le public nous fait la leçon, parce qu’un journaliste doit être à équidistance de toutes les chapelles politiques. »


« En France, il y a des médias de droite, de centre et de gauche. Pourquoi, au Sénégal, un journaliste ne ferait-il pas de la politique ? Où est le problème à partir du moment on est honnête et objectif ? » rétorque Racine Talla.

Des arguments peu audibles pour Bamba Kassé, secrétaire exécutif du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication (Synpics). « On devrait par exemple réfléchir à une loi qui interdirait à des membres de partis politiques d’être nommés à la direction de médias publics. Cela réglerait une partie du problème. » Et de conclure : « Les journalistes sont des citoyens libres de faire de la politique. Mais s’ils choisissent cette voix, ils doivent assumer, quitter la profession et ne plus revenir, même s’ils sont battus dans les urnes. »

Jeune Afrique 
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