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RDC : François Beya, révélations sur une affaire d’État

Mercredi 17 Août 2022

« Affaire Beya : les dessous de la chute d’un puissant » (1/2). Le magazine "Jeune Afrique" s’est procuré le dossier de l’instruction menée contre l’ex-« monsieur sécurité » : une quarantaine de PV d’auditions, d’extraits de conversations WhatsApp ou encore de comptes-rendus de perquisitions… Tshisekedi ou Kabila, à qui l’ancien conseiller était-il loyal ? Premier volet de notre enquête.


Près de six mois se sont écoulés depuis l’arrestation, le 5 février, de François Beya, mais le dossier visant l’ancien conseiller en sécurité de Félix Tshisekedi, jugé depuis le 3 juin pour complot contre le chef de l’État et remis en liberté provisoire le 16 août, demeure nébuleux. L’ex-sécurocrate comparaît avec plusieurs co-accusés, dont son directeur de protocole, le colonel David Cikapa, son secrétaire particulier, Guy Vanda, mais aussi le brigadier Tonton Twadi Sekele, le commissaire supérieur principal Lily Tambwe Mauwa et le lieutenant-colonel Pierre Kalenga Kalenga.


Entre le 28 février et le 7 mai, François Beya a été entendu à au moins dix reprises et confronté à d’autres acteurs clés du dossier. Son premier interrogatoire a eu lieu plus de trois semaines après son arrestation et son arrivée dans les locaux de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Il y sera auditionné sept fois, dans un climat tendu et en présence de l’administrateur général (AG) de l’ANR, Jean-Hervé Mbelu Biosha – dont Beya avait facilité la nomination au poste d’adjoint au patron de l’ANR en 2019. L’ancien conseiller accuse d’ailleurs Mbelu de faire preuve « d’acharnement » à son égard : « Je me considère comme étant son prisonnier personnel », lance-t-il en conclusion de l’une de ses auditions.

Au fil des semaines, les enquêteurs ont questionné Beya sur sa loyauté politique et ses liens avec Joseph Kabila. Ils lui ont aussi demandé de répondre aux accusations de complot et de rétention d’informations.

« Joseph Kabila n’est pas mon chef »
Intermédiaire incontournable entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila – il participait régulièrement aux tête-à-tête entre les deux hommes –, « Fantomas » disposait jusqu’à son arrestation de prérogatives qui dépassaient largement le domaine sécuritaire. S’il n’a jamais nié avoir joué un rôle d’émissaire auprès de l’ancien président, il a aussi toujours fait l’objet de soupçons dans l’entourage de Tshisekedi, où plusieurs conseillers l’accusaient de défendre les intérêts de Kabila, lequel avait fait de lui le patron de la Direction générale de migration (DGM).

François Beya s’en est systématiquement défendu devant les enquêteurs de l’ANR, qui le soupçonnaient de rendre des comptes à l’ancien président « à tout moment ». Ainsi, le 14 mars, il leur lance : « [Joseph Kabila] n’est pas mon chef ! ». « Toutes mes conversations avec lui sont professionnelles et le président est au courant, poursuit-il. Si je n’étais pas le trait d’union entre lui et le nouveau chef de l’État, je ne serais pas en contact avec lui. » Il précise encore que son dernier échange avec le raïs date d’une autorisation de voyage de ce dernier en Afrique du Sud qu’il avait eue à lui communiquer.

Si la question de ses contacts avec l’ex-chef de l’État intéresse autant les enquêteurs, c’est notamment parce que les services de Félix Tshisekedi ne cessent de s’interroger sur les nombreux déplacements à l’étranger de Joseph Kabila. Tous ces voyages étaient systématiquement autorisés par le conseiller avec l’accord du chef de l’État. Outre l’Afrique du Sud, devenue ces derniers mois une base arrière pour certains de ses proches, comme son frère, Zoé Kabila, le Zimbabwe et la Tanzanie ont été des destinations du raïs lors d’une tournée en mars 2021. Ces deux pays, dont le régime Kabila était historiquement proche, font l’objet d’une attention toute particulière des renseignements congolais.

« John Numbi me considérait comme son ennemi »
Les enquêteurs de l’ANR le signifient au « spécial », lui demandant à trois reprises s’il a eu connaissance d’une tentative de « complot contre le chef de l’État planifié à partir de la Tanzanie par le gouvernement de ce pays, Joseph Kabila et quelques militaires ». Beya répond systématiquement par la négative, assurant « ne pas avoir reçu ce message ».

Autre pays dans le viseur : le Zimbabwe. Et c’est plus particulièrement l’ancien général John Numbi, un intime de Kabila soupçonné d’avoir fui à Harare en mars 2021, qui est scruté de près. Visé par un mandat d’arrêt, il est aujourd’hui accusé par la justice militaire de vouloir recruter « d’anciens éléments du bataillon Simba [sorte de police dans la police aux ordres de Numbi] vivant en Angola et en Namibie pour renverser le régime en place ». Les enquêteurs reprochent à François Beya de s’être secrètement rendu dans la capitale zimbabwéenne en mai 2021, alors que sa destination initiale était Bangui, et d’y avoir rencontré le général déserteur.


Selon les documents consultés par Jeune Afrique, ils s’appuient sur les auditions d’un haut gradé de l’armée dont l’identité est protégée. Interrogé à plusieurs reprises depuis le début de l’année 2021, ce militaire, resté en contact avec Numbi, assure avoir assisté à un échange téléphonique entre l’ancien général et le conseiller spécial, qui lui aurait alors promis une visite. Il dit aussi qu’un colonel résidant à Harare a été chargé de l’accueillir à l’aéroport et de le conduire à la résidence de Numbi.

Face aux enquêteurs, Beya nie en bloc. Selon ses déclarations, son unique voyage au Zimbabwe remonte aux années 2000 et il n’aurait pu se déplacer sans que l’actuel chef de l’État n’en soit informé. Accusant le haut gradé de l’armée d’être un « faux témoin fabriqué par l’AG de l’ANR Jean-Hervé Mbelu », il a enjoint ses interlocuteurs à vérifier les manifestes aériens et ses passeports pour prouver qu’il ne s’est pas rendu à Harare. Concernant ses relations avec John Numbi, il assure ne plus avoir de contact avec lui depuis son « entrée en dissidence ». « John Numbi me considérait comme son ennemi », ajoutera-t-il lors d’une audition menée cette fois à la prison de Makala, où il a été transféré le 4 avril.

« Trahir mon propre frère, non ! »
Les interrogations autour de la loyauté de François Beya sont donc restées centrales tout au long de sa détention. « Je suis victime d’une grande cabale montée contre moi. Je vous confirme que je suis fidèle [au président Tshisekedi] et je le resterai même sans fonction », se justifie-t-il en conclusion de l’un de ses interrogatoires. Les enquêteurs vont jusqu’à remettre en cause son implication au sein de l’Union sacrée, la coalition qui s’est formée autour du président après la rupture avec Kabila. « Vous êtes un artisan de l’Union sacrée mais les gens constatent actuellement que vous n’êtes pas intéressé par cette [coalition], vrai ou faux ? », lui demandent-ils. « J’ai servi Mobutu Sese Seko, j’ai servi Kabila, aujourd’hui, trahir mon propre frère ? Non ! »

Soupçonné d’être lui-même entré en « dissidence », Beya s’est également vu reprocher des propos injurieux que lui ou certains de ses proches auraient tenu à l’encontre du chef de l’État. Le jour de l’accrochage entre Jean-Marc Kabund et un membre de la Garde républicaine, son secrétaire particulier, Guy Vanda, a notamment qualifié le pouvoir de Félix Tshisekedi de « régime de parvenus ». « De par mon éducation, je ne peux pas injurier quelqu’un, surtout pas le président Tshisekedi qui, en dehors de ses fonctions, est mon frère, que je connais depuis longtemps, s’est défendu Beya. En me nommant, il m’a fait bénéficier de son amour et de sa confiance. Je ne vois pas comment je peux injurier ou trahir un homme comme lui. »
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