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Les mises en garde de Kagamé : «Je n’accepte pas que le Rwanda soit le bouc émissaire des dirigeants congolais »

Samedi 28 Janvier 2023

Jeune Afrique : Dans votre discours du Nouvel An, il y a un mois, vous avez affirmé que la situation dans l’est de la RDC était « pire que jamais ». Le rediriez-vous aujourd’hui ?

Paul Kagame : Permettez-moi de faire un peu d’histoire, tant il est difficile de comprendre la situation actuelle hors de son contexte. L’est de la RDC est en état d’instabilité quasi permanent depuis 1994. À l’époque, près de 2 millions de Rwandais avaient fui le pays pour s’y réfugier. La majorité d’entre eux est, depuis, rentrée au Rwanda, mais une minorité est restée sur place, ce qui constitue encore aujourd’hui un facteur d’insécurité pour nous. À cela s’ajoute la centaine de groupes armés congolais qui sévissent dans cette région. La plupart sont des milices d’autodéfense formées sur des bases ethniques. Depuis plus de deux décennies, l’ONU entretient à coup de milliards de dollars une force censée stabiliser les deux Kivus, avec, comme on le constate, un résultat dérisoire, voire inexistant. Comme il fallait bien trouver un responsable à cet échec, le Rwanda fait figure de bouc émissaire. Il l’est aux yeux d’une communauté internationale qui a failli, et il l’est pour les responsables congolais, trop heureux de trouver une excuse à leur propre incapacité.

Je peux entendre que le Rwanda est partie au problème de l’Est, mais comment soutenir qu’il est le problème, le seul et l’unique ? C’est tout simplement malhonnête et, surtout, totalement contre-productif. Tant que les puissances extérieures et les gouvernements congolais successifs entonneront ce refrain, il n’y aura pas de solution durable aux maux qui minent l’est de la RDC. Il est absolument clair à mes yeux que la responsabilité de cette situation incombe d’abord aux autorités congolaises et, ensuite, aux pays occidentaux partie prenante dans la genèse du problème.  Prenons l’exemple du groupe terroriste FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda]. Comment expliquer qu’il soit toujours actif, vingt-neuf ans après le génocide, malgré la présence continue de la Monusco ? Fin 2019, ce groupe a encore mené une attaque meurtrière à Kinigi, dans le district touristique de Musanze, tuant 14 civils avant de trouver refuge du côté congolais de la frontière.

Le fait que nous jugions de notre responsabilité d’éradiquer ces individus où qu’ils se trouvent – et nul ne nous en empêchera – n’est que la conséquence de l’impuissance de ceux à qui cette tâche incombait en premier lieu. Car, je vous l’assure, de mon vivant et du vivant des générations futures, il n’y aura plus jamais de génocide au Rwanda. Dussions-nous pour cela nous battre avec des arcs, des lances et des pierres, cela n’arrivera plus.

Considérez-vous que les revendications du M23 sont fondées et justifient une rébellion armée ?

Lors d’un sommet, en 2022, j’ai posé au président Félix Tshisekedi la question suivante : « Ne perdons pas notre temps à tourner autour du pot. Considérez-vous les membres du M23, leurs familles et les dizaines de milliers de réfugiés issus de la même communauté qu’eux, comme des Congolais ou comme des Rwandais ? » Il m’a répondu, en présence des autres chefs d’État : « Ce sont des Congolais ». Dont acte. Des Congolais d’origine ou de culture rwandaise peut-être, mais des citoyens congolais, tout comme il existe, dans le sud de l’Ouganda, des districts peuplés d’Ougandais rwandophones sans que cela pose la moindre difficulté. Dès lors, si leur intégration au Congo soulève un problème, en quoi serais-je responsable ?

En revanche, là où cela a un impact sur nous, c’est quand des centaines de familles chassées de chez elles après avoir été stigmatisées comme « rwandaises » ou « tutsies » viennent se réfugier ici. Ces ressortissants congolais victimes de discriminations ethniques sont près de 80 000 au Rwanda. « Rentrez chez vous ! » leur a-t-on dit. Mais chez eux – et depuis bien plus d’un siècle pour beaucoup –, c’est l’est du Congo !

Le gouvernement Kabila a promis de régler cette affaire. Rien ne s’est passé. Le gouvernement Tshisekedi a fait la même promesse, et des dirigeants du M23 se sont rendus à Kinshasa, où ils ont tourné en rond dans leur hôtel pendant quatre mois sans que personne les reçoive. Le M23, dont les éléments étaient en majorité réfugiés en Ouganda, s’est donc senti floué et fondé à reprendre la lutte pour faire valoir ses droits. Mettez-vous à la place de ces gens, nés et élevés au Congo, dont les parents et les grands-parents sont nés en terre congolaise et à qui l’on dit de retourner d’où ils venaient avant la colonisation et avant l’existence même des frontières ! Et imaginez ce que deviendrait l’Afrique si chacun jouait à ce jeu dangereux. Ajoutez à cela des discours de haine émanant du gouvernement, de l’administration et de politiciens congolais, et la similitude entre cette situation et celle qui prévalait au Rwanda en 1994 est évidente. Le fait de qualifier ces personnes de Tutsies débouche sur un syllogisme à la fois faux et pervers : elles seraient ipso facto soutenues, financées et armées par leurs frères tutsis du Rwanda, au premier rang desquels Kagame lui-même.


Vous démentez toute intervention de votre armée aux côtés du M23. Iriez-vous jusqu’à dire que vous n’avez aucune influence sur Sultani Makenga et ses hommes ?

L’accusation selon laquelle j’interviendrais au Congo m’importe peu. Ce n’est ni la première ni la dernière. L’important est de savoir pourquoi j’interviendrais. Si vous ne vous posez pas cette question, vous passez à côté de l’essentiel. Or la réponse est simple : la menace que fait peser sur notre sécurité l’activité d’un groupe imprégné de l’idéologie génocidaire comme les FDLR est clairement susceptible de nous amener à intervenir en territoire congolais, sans excuses ni préavis. Quand vous êtes agressé, vous n’attendez pas les instructions de votre agresseur ou de son protecteur pour savoir comment réagir.

En ce qui concerne le M23, il peut en effet m’arriver de parler à ses dirigeants. Après tout, ils sont à nos frontières, et les processus de Luanda et de Nairobi, qui recommandent de dialoguer avec tous les groupes armés, y compris celui-là, sont clairs. J’ai donc fait passer des messages d’apaisement au M23, en demandant à ses chefs de cesser le combat et de se retirer de localités qu’ils occupaient. Ce qu’ils ont accepté. Le problème, c’est que l’armée congolaise en a profité pour les attaquer, avant d’être une nouvelle fois défaite.



Je pensais que les FDLR étaient devenues un groupe marginal. Ce n’est pas ce que vous semblez dire…

Les FDLR sont intégrées au sein même des FARDC [Forces armées de RDC] et c’est bien là que le bât blesse. Cet état de fait ne nous empêche pas pour autant de revendiquer notre droit légitime à aller éteindre l’incendie à sa source, quel que soit l’endroit où celle-ci se trouve, avec ou sans le consentement de qui que ce soit. Jamais le Rwanda n’est intervenu au Congo pour tenter de résoudre une situation qui ne préexistait pas à son intervention et qui ne concernait pas sa propre sécurité.



Ne vous sentez-vous pas isolé sur la scène internationale ?

Isolé de quoi, et isolé par qui ? Oubliez cette histoire d’isolement. Quand on a l’adhésion de 100% de ses compatriotes, cela n’a pas de sens.

Comment mettre un terme à cette crise ?

D’un côté, le M23 doit cesser les combats. De l’autre, et simultanément, le gouvernement congolais doit étudier sérieusement ses revendications et y répondre. Les autorités de Kinshasa doivent aussi mettre un terme aux discours de haine anti-tutsi et ne plus menacer ces populations de les renvoyer au Rwanda alors qu’elles sont chez elles au Congo. Plutôt que de prêter une oreille complaisante au récit de la partie congolaise et de n’écouter que cette version, les puissances extérieures concernées devraient l’aider à intégrer ces gens. Le Rwanda n’est pas un espace vide dans lequel un pays voisin se croit autorisé à se débarrasser des populations qu’il persécute.


Le M23 a été accusé de commettre des crimes contre les civils, notamment à Kishishe, à la fin de novembre 2022. Condamnez-vous ces exactions ?

Je condamne tous les abus, d’où qu’ils viennent. Je constate simplement que l’on ne documente pas, ou très rarement, les crimes commis par les FDLR et les FARDC. Pourquoi ? En réalité, il n’y a pas d’arbitre impartial dans cette affaire, et c’est l’un des nœuds du problème.


En invitant, à la fin de 2021, les troupes ougandaises et burundaises à combattre les groupes rebelles dans l’Est aux côtés de son armée, sans associer le Rwanda ni même l’informer, le président Tshisekedi a-t-il ouvert la boîte de Pandore ?

Disons que cela a donné un signe clair de ses intentions. L’idée d’associer les pays voisins, dont le Rwanda, à la résolution du problème des groupes armés est venue de nous et a été au cœur de nos discussions avec les autorités congolaises, à la fin de 2019 et au début de 2020. Le fait que Kinshasa ait décidé, finalement, de nous exclure signifie que le Congo n’a ni l’envie ni l’intention de résoudre le cas particulier des FDLR.

La même logique reposant sur la mauvaise foi a présidé au veto de la RDC à la participation du Rwanda à la force régionale est-africaine sous direction kényane. Tant que le gouvernement congolais estimera qu’il peut gérer sans nous les FDLR il n’y aura pas de solution.

Votre dernière rencontre avec Félix Tshisekedi remonte à septembre 2022, à New York, à l’initiative du président français, Emmanuel Macron. Avec l’absence de résultats que l’on connaît. Entre vous deux, la confiance semble rompue. Pourquoi ?

Cela procède de tout ce que je viens de vous dire. Pour nous, Rwandais, la présence de forces génocidaires à nos frontières est une affaire très sérieuse de sécurité nationale. Nous découvrons que nos voisins collaborent avec nos ennemis, et vous voudriez que nous leur fassions confiance ?

À l’occasion d’une rencontre avec des jeunes Congolais, au début de décembre 2022, Félix Tshisekedi a explicitement souhaité votre départ du pouvoir et s’est dit prêt à aider le peuple rwandais à se « débarrasser » de ses « dirigeants rétrogrades ». Quelle est votre réaction ?

C’est son droit. Et c’est effectivement ce qu’il essaie de faire en collaborant avec les FDLR, dont il a besoin sur le terrain militaire. Pour le reste, j’aimerais savoir comment il compte s’y prendre.

Les diatribes anti-Tutsis, anti-Banyamulenge et anti-Rwandais sont officiellement condamnées par le gouvernement congolais, qui affirme faire la part entre votre régime et les populations rwandophones. N’est-ce pas là toute la différence avec la situation qui prévalait au Rwanda en 1994 ?

Les faits parlent d’eux-mêmes. Je ne crois pas à la fable d’individus ou de groupes isolés coupables de tenir des discours de haine. Ces discours sont encouragés par le gouvernement congolais. On ne peut pas, d’un côté, créer les conditions pour que de tels discours soient proférés et, de l’autre, faire mine de les condamner.

La RDC est en année électorale, avec un scrutin présidentiel annoncé pour la fin de 2023. Pensez-vous que cette perspective joue un rôle dans la crise avec le Rwanda ?

C’est évident, dans la mesure où cette situation offre un terreau propice à toutes les surenchères politiciennes. Au lieu de faire campagne sur la bonne utilisation des immenses richesses dont dispose la RDC et sur les transformations visibles au bénéfice des populations, dont on sait qu’elles posent problème, on préfère s’en prendre au Rwanda. C’est le moyen le plus simple d’échapper à ses responsabilités.

Quelles sont les conditions d’une paix juste et durable dans l’Est ?

Il n’y a pas « des », mais une condition. Les dirigeants et les politiciens congolais doivent avoir le courage de regarder la situation en face et de s’atteler à la résoudre, sans chercher constamment des prétextes et des excuses extérieurs au pays. Nulle part au monde une paix juste et durable ne s’est bâtie sur des faux fuyants. S’agit-il d’un problème de gouvernance ? de sécurité ? des deux à la fois ? Aux Congolais de répondre, et de prendre leurs responsabilités.

Leur diriez-vous que vous n’êtes pas le diable qu’on leur dépeint ?

Je n’ai rien à leur dire sur moi. Pensez-vous sérieusement que les problèmes structurels que connaît la RDC – gouvernance, gestion des ressources, responsabilité et reddition des comptes… – sont apparus le jour où le FPR [Front patriotique rwandais] et Kagame sont arrivés au pouvoir à Kigali ? Croyez-vous une seconde que je sois responsable du fait que 1% des Congolais profite des richesses de leur pays et que 99% en sont exclus ? Ou du fait que près de 120 groupes armés prolifèrent dans l’Est ?



Chacun a ses problèmes, et vous ne m’entendrez jamais dire à mes compatriotes que leurs problèmes sont de la faute des Congolais. À ces derniers, je voudrais dire ceci : le Congo est un grand pays par sa population, sa géographie, ses ressources, sa culture, mais il se doit aussi d’être grand par sa capacité à gérer ses propres affaires et à se transformer. Écouter ceux de leurs leaders qui me dépeignent sous les traits du diable pour éviter de faire face à leurs propres responsabilités ou par simple démagogie ne changera rien à leur situation.

Jeune Afrique 

 
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