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Casamance-Conséquences du conflit armé : Niaguis Nyassia, voyage au coeur des « cités de la guerre » (meilleur reportage 2017)

Vendredi 2 Septembre 2016

Les deux arrondissements du département de Ziguinchor ont été l’épicentre des combats entre l’armée et les combattants du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) occasionnant l’abandon de près de 80 villages et plus de 50 000 déplacés. Aujourd’hui, l’accalmie règne, mais les populations croisent les doigts.

Samba Sy, 38 ans. Cet habitant de Niaguis a perdu une jambe en 2003 après avoir sauté sur une mine au village de Shône (Niaguis). Il était âgé de 22 ans. Au terrain de football municipal de Niaguis, il entraine l’équipe séniore de navétane du village. Le foot, c’est sa passion. Un rêve brisé par le drame de sa vie. Grâce à un protège plus ou moins bien fait, il ne donne pas l’impressionne de marcher sur une jambe. Mais ceux qui le connaissaient s’aperçoivent rapidement qu’il est diminué. Et c’est le pied gauche avec lequel il émerveillait qui est parti. «Je savais jouait au foot. Toute ma vie, c’était le foot. Je rêvais de devenir un professionnel. Mais après ce drame, j’ai compris que je devais passer à autre chose même si j’ai beaucoup souffert au début. C’est la volonté divine», explique-t-il, stoïque. Aucune trace de larme. La foi en Dieu a beaucoup aidé Samba Sy qui a pu refaire sa vie. Aujourd’hui, grâce à un prêt qu’il a fait, il tient une boutique qui marche bien. Le débit rapide, il revient sur le drame qui ne le hante plus après plus d’une décennie de galère et de remords. «J’étais parti, avec des camarades, chercher du pain de singe pour un ami qui devait retourner sur Dakar, narre-t-il sans ambages. À notre retour, j’ai posé mon pied sur une mine placée aux abords de la route. Je n’ai senti que l’explosion. Sur le champ, ma cheville est coupée. Plus d’une demi-heure après, les militaires sont venus à mon secours. Arrivée à Ziguinchor, j’ai passé plus de 4 heures de temps sans que les médecins me touchent. Je me suis endormi, et le lendemain, je me suis réveillé avec une jambe amputée», confesse celui que l’on surnommait Zidane. La première opération n’a pas réussi, et Samba Sy a dû se résigner à subir une seconde amputation de la jambe parce que la plaie s’était infectée. Chaque année de l’anniversaire du drame de sa vie, l’ancienne star du foot local retourne sur le lieu où il a sauté sur l’engin explosif. «J’en ai besoin pour me soulager, je n’ai plus peur de sauter sur une mine», sourit-il. Même s’il n’est plus ce gaucher magique sur les terrains de l’arrondissement de Niaguis, il savoure ce sport en tant qu’entraineur. «Je dois vous laisser, les joueurs m’attendent». L’au revoir est lancé. Il retourne sur ses pas en boitillant, le soleil s’inclinait déjà et la pluie menaçait. Allez…

Niaguis, Nyassia, les champs de bataille
Les arrondissements de Niaguis et Nyassia, situés le long de la frontière avec la Guinée-Bissau a servi et sert encore aujourd’hui de zone de repli aux combattants du Mfdc. Le journaliste Ibrahima Gassama, un fin connaisseur du conflit sénégalais en Casamance explique le choix de cette bande frontalière par les rebelles. «Même si la première marche qui a débouché sur l’incident a eu lieu dans la commune de Ziguinchor, les acteurs se sont retirés après dans la zone de Niaguis et Nyassia parce qu’ils pouvaient facilement trouver refuge en Guinée-Bissau. C’était le seul endroit qui les permettait de s’échapper. C’est dans cette partie que la branche armée du Mfdc, Atika est née. C’est la zone qui a accueilli le maquis avant sa division. Donc, on ne peut parler de ce conflit sans ces localités», renseigne-t-il à son bureau de la radio Zig Fm dont il est le directeur. Cette bande frontalière à la Guinée-Bissau a été, pendant plus de trois décennies, le théâtre des affrontements entre l’armée et les éléments du Mfdc. Les deux arrondissements ont payé un lourd tribut du conflit. En 2014, l’Agence nationale pour la relance des activités économiques et sociales en Casamance (Anrac) a estimé le nombre de déplacés à 52 808 et de refugiés à 20 000, dispersés entre la Gambie et la Guinée-Bissau. Ces déplacés de guerre sont presque tous issus de ces deux pôles. Le secrétaire général de l’Organisation non gouvernementale (Ong) Association pour la promotion rurale de l’arrondissement de Nyassia/Solidarité, développement, paix (Apran/Sdp) a décompté, en 2014, 78 villages abandonnés par les populations et rayés de la carte. Aujourd’hui, un retour des populations s’effectue dans certains villages. Mais il est encore freiné par les mines disséminées presque partout dans ces endroits. Le directeur du Centre national d’action anti-mines au Sénégal (Cnams), Barham Thiam, a estimé à 824, le nombre de victimes des mines (civiles et militaires, dont 150 tuées) en 2014. Dans ses recherches, le Cnams a dénombré 299 villages (localités) susceptibles d’être minés appartenant à ces arrondissements. Le comble est que le déminage a été arrêté depuis mars 2013 sur ordre des rebelles. Alors que les mines enfouies se «comptent par milliers». Pour Ibrahima Gassama, «même s’il y a l’accalmie aujourd’hui, on ne la sent pas trop  dans cette zone parce qu’il y a encore les porteurs d’armes du Mfdc et des cantonnements militaires. Cette configuration fait qu’il y a des bandits qui sévissent».

 «On vit encore les séquelles du conflit, on n’oubliera jamais»
Shône, un village de l’arrondissement de Niaguis. Sur une piste sableuse happée par la végétation, nous avançons presqu’au point mort. Un calme plat règne laissant place aux chants d’oiseaux. Le ciel s’assombrit. La présence d’un vélo au bord de la route fait retomber la pression. Au loin, on aperçoit une silhouette dans un champ lever une main en guise de salutations. Romain Ndecky assure qu’il n’y a plus rien à craindre et demande qu’on avance. Cet ancien militaire est natif de ce village abandonné depuis 1995. Pourtant, sur un panneau, il est écrit que la zone est «susceptible d’être minée» avec une interdiction formelle de s’y rendre : «n’y allez pas», lit-on. Les habitants se refugient, pour la plupart, à Niaguis. Le jour, ils se rendent dans cette bourgade pour cultiver. Le village a des allures d’un camp militaire abandonné. Par endroits, on aperçoit des buttes de sable des murs des maisons qui se sont écroulées. C’est le vide. La végétation a repris ses droits. Pourtant, il y a 20 ans, raconte Romain Ndecky, il y avait un village bien peuplé. Désormais, on reconnait la trace de vie humaine  à travers les restes des bâtiments d’église, d’école ou de maisons. Aux abords de la route, il y a une cloche sur laquelle une croix est suspendue au-dessus. C’était une église. Une partie du mur résiste encore aux averses violentes de la saison des pluies. A l’opposé, le mur du puits ne se laisse pas submerger par les herbes et arbustes. «Les rebelles sont venus pour la première fois le 15 février 1995 à 21 heures. Ce jour là, ils ont juste braqué une boutique. Ils ont voulu s’attaquer au chef de village, mais il a pris la fuite. Le 4 avril 1995 vers 9 heures, ils sont revenus, cette fois-ci, c’était pour détruire tout le village. Ils ont tout brûlé», raconte Romain Ndecky, l’air guindé. Il avait 19 ans quand les combattants du Mfdc s’emparaient de ce hameau rayé de la carte. Romain s’apprêtait à participer au défilé du 4 avril à Niaguis. Le lendemain, le village s’est vidé de sa population. Depuis, il n’est plus habité. Mais Romain «a hâte de revenir chez nous» le plus tôt possible «mais nous n’avons pas le choix», regrette-t-il.


Loin de cette forêt touffue et dangereuse, Youssouph Sané s’affale sur un fauteuil noir à la sous-préfecture de Niaguis. Le vieux bâtiment délabré peint en blanc a vu une partie du mur s’écrouler. Au crépuscule de sa carrière, le secrétaire à la sous-préfecture dans un caftan gris peine encore à oublier les dégâts collatéraux du conflit. Sous le poids de l’âge cumulé à la maladie, il revient difficilement sur ce conflit. «C’est difficile de parler de cette crise parce qu’elle a causé beaucoup de préjudice aux populations. Nous la vivons jusqu’à présent malgré l’accalmie. On ne pourra jamais oublier. Les plaies se sont peut être cicatrisées, mais nous ressentons les séquelles encore», lance Youssouf Sané en balançant la tête couvert de cheveux blancs. A bout de force, il revient sur ses mauvaises expériences vécues avec les rebelles. Dans ses différentes missions républicaines, Youssouf  a eu la malchance d’être l’otage des éléments du Mfdc. A deux reprises, il a été battu «à mort».


De ces agressions, il garde encore des souvenirs frais. «J’étais en mission au village de Baraka Pnao (commune de Boutoupa-Camaracounda) pour la révision des listes électorales, confesse-t-il la voix tremblante. C’était en 1992. A hauteur du village, les cultivateurs qui étaient dans les rizières sont venus vers moi pour me dire que les rebelles s’opposaient à la révision des listes électorales. J’attendais un bidon de 5 litres de citron pour l’emporter. Dans cette attente, les rebelles sont venus m’encercler. L’un d’eux est venu arracher la liste électorale que j’avais dans le scelle. On m’a conduit dans les rizières. On m’a battu avec des câbles sans protège qui enlevaient ma chair. On m’a battu jusqu’à ce que je m’affale par terre. J’étais inerte. Ils m’ont cru mort, ils sont partis. Je venais de baptiser ma fille, une semaine avant», raconte le secrétaire à la sous-préfecture de Niaguis. Comme si la douleur s’était réveillée avec les souvenirs, le ton monte. La colère se lit sur son visage fatigué. Derrière ses lunettes claires, il embraie : «Vous pensez que je peux oublier tout cela ? Regardez toutes ces cicatrices (il montre du doigt sa poitrine). Les cas comme moi, il y en a en pagaille», hurle-t-il.  Il a été affecté à Niaguis depuis 1982, l’année où la crise a éclaté. Mais Youssouf Sané a été obligé de quitter son village de Laty (commune Boutoupa-Camaracounda) pour fuir la mort. De son côté, le chef de village de Niaguis, Alassane Ndiaye raconte que les rebelles ont une fois pris en otage sa nièce pour transporter de la marchandise cambriolée dans des boutiques. «Il arrivait des moments où, à partir de 17 heures, rien ne vit et on ne sait pas de quoi demain sera fait», explique Alassane Ndiaye.


Les populations toujours dans la hantise
C’est la fête d’assomption. Sur la route de Nyassia, on croise des groupes de gens. Ils ont l’air joyeux. Et n’hésitent pas à offrir un sourire aux passants. Dans une hutte, une chaîne à musique distille le son. Mais derrière ce semblant de vie paisible, se cache un passé douloureux. Nyassia n’est pas un havre de paix. Avec sa forêt touffue, il a été le théâtre des affrontements. Un 19 août 1997, l’armée a perdu 25 hommes dans une embuscade des rebelles au village de Babonda. Aujourd’hui, le calme est revenu, mais les habitants gardent toujours le mauvais souvenir des combats entre l’armée et les rebelles. «C’est la fête de 15 août, et vous avez pu voir les gens se promener tranquillement. Avant, ce n’était pas possible», se réjouit Gaspard Tendeng, chef de village de Nyassia. A côté de la plaque du collège de Nyassia, un panneau qui reprend les dessins des mines et les objets à ne pas approcher en brousse. Pour se rendre chez le chef de village, il faut quitter la route principale pour emprunter une petite piste surplombée par des arbres. Le ciel s’assombrit, bientôt la pluie a commencé. Après quelques minutes de course, on aperçoit la demeure du chef. C’est une maison en banco avec un toit en zinc. Sur sa chaise dépliante, Gaspard Tendeng parle difficilement à cause de sa maladie. Il ressasse le passé douloureux. Comparé à hier, pour lui, la paix est déjà revenue. «Aujourd’hui on rend grâce à Dieu. Il nous arrivait de rester des jours durant terrés chez nous à cause des accrochages entre rebelles et soldats. On faisait tous nos besoins à l’intérieur… On a vécu des moments très difficiles. Si on avait des caméras à l’époque, vous auriez vu des images inédites», sourit-il.  Son crâne rasé et sa barbe fournie font place aux supputations qu’il appartient au maquis. «Ici, on nous taxe de rebelle, c’est difficile», regrette-t-il le regard perdu dans le vide. Devant des invités de la fête, le chef de village concède qu’il «y a encore le stress parce que certains ont vécu l’horreur qui les tourmente toujours». Touchés par la question, ses deux invités se disent «très pressés de retourner au village de Mahmouda, même demain». Les conditions ne sont pas encore réunies pour un retour effectif à cause des mines, mais ils espèrent toujours.

L’accalmie semble soulager les habitants

Le maire de Nyassia Mamadou Diallo réside dans son village natal de Kaguitt, le plus gros de l’arrondissement. Il est à 9 kilomètres au sud de Nyassia. Une route latéritique escarpée y mène. La nuit tombante, le maire s’engouffre dans son véhicule pour quitter le village. Mystère insondable, il y a 20 ans. Ce village était vidé de ses habitants il y 24 ans. Mamadou Diallo n’a pas que de vagues réminiscences de ce jour. «C’était un mardi 1er septembre 1992, je n’oublierai jamais cette date. Je faisais mes ablutions pour la prière de Takkussan quand ça a tonné. Au début, on pensait que ça va passer vite…mais les coups de feu ont continué jusqu’au lendemain», raconte le maire.  Les habitants ont été contraints d’abandonner leur village pour se refugier à Nyassia et ailleurs. Mais le retour a commencé un an plus tard. Le maire est convaincu que les «populations ont toujours peur» en dépit de l’accalmie qui règne. Le chef de village de Niaguis raconte une anecdote pour étayer la persistance de la psychose dans ces localités. «Pendant la circoncision de Mlomp, quand un pneu a éclaté, tout le monde a jeté sa cuillère pour s’en fuir (rires)…on pensait revivre ces évènements douloureux», se marre Alassane Ndiaye aujourd’hui.  

Le journaliste Ibrahima Gassama «sursaute toujours même quand une porte se referme avec force». «J’essaie de me contrôler, mais pour un rien, je replonge dans mes souvenirs. Et l’image que je n’aimerais plus voir, c’est les militaires armés qui faufilent dans la ville. Je veux assister le jour où on va fêter la paix. C’est mon souhait, et je ne souhaite pas mourir sans atteindre cet objectif», confesse-t-il. L’espoir renait, mais les populations n’ont pas encore le cœur complètement à la fête.
CHIMERE JUNIOR LOPY L'OBS


1.Posté par Moustapha Gueye le 07/05/2017 20:47
Une interpellation des acteurs sur l'urgence de faire aboutir le processus de paix si toutefois il est entamé de manière formelle et que l'actuelle accalmie n'est pas le fait d'un concours de circonstances. Un réquisitoire pour une paix définitive loin des incertitudes

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