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Capitalisme vert et numérique au Sénégal : l'exploitation du zirconium à Niaffrang

Dimanche 8 Mai 2022

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Le récit officiel dont nous sommes bombardés par les élites politiques et entrepreneuriales met l'accent sur la durabilité du nouveau capitalisme vert et numérique, qui est beaucoup plus efficace et dématérialisé. Sous cette imagerie se cache une réalité très différente, dans laquelle la consommation d'énergie et de matériaux non seulement ne diminue pas, mais augmente. La prolifération à travers le monde de mégaprojets éoliens, photovoltaïques et hydroélectriques, ainsi que ceux liés à l'exploitation des terres rares et des métaux stratégiques pour l'économie digitalisée, ne sont que quelques exemples de cette offensive en cours.


Une offensive qui, dans un contexte de crise écologique et de vulnérabilité, approfondit la logique coloniale d'appropriation et de dépossession des territoires et des biens naturels au profit des marchés mondiaux contrôlés par les sociétés transnationales. Si cela a malheureusement été la réalité du continent africain tout au long de son histoire, aujourd'hui de nouvelles formules sont reproduites pour garantir les énormes besoins énergétiques et matériels des grandes puissances.


Un exemple particulier est la mine de zirconium de Dune de Niaffrang, dans la région de Ziguinchor, au Sénégal. Il s'agit d'un méga-projet mené depuis 2004 par la multinationale sino-australienne ASTRON LIMITED (dédiée au traitement des sables minéraux et au développement de technologies et de produits dérivés) dans le but d'extraire un matériau aux multiples usages industriels, tels que la fabrication de prothèses dentaires, de diamants synthétiques, de téléphones portables et de cuves de réacteurs nucléaires, entre autres.
Aujourd'hui, grâce à la mobilisation sociale, le projet est toujours en cours, bien qu'il dispose des permis correspondants. Comme nous le verrons plus loin, les impacts économiques, écologiques et sociaux de son développement pourraient être très graves et, malgré cela, la proposition d'étendre la frontière extractive dans la région se poursuit sans relâche.
En ce sens, nous présentons les leçons apprises de toutes ces années de lutte, dans le but non seulement de renforcer la stratégie du tissu local face à ce qui est à venir, mais aussi de dénoncer internationalement la situation que subit l'Afrique dans le cadre de ce nouveau récit vert et numérique, dont ce mégaprojet n'est qu'un bouton témoin.


Mine de zirconium de la Dune de Niaffrang : l'histoire d'un conflit

Les travaux d'exploration ont commencé en 2004, lorsque la multinationale canadienne Carnegie Limited a obtenu l'autorisation de prospecter l'ensemble du littoral casamançais. Les travaux ont débuté en 2005, mais en 2008, la direction du mégaprojet a été confiée à Astron Limited, avec qui la société canadienne a conclu un partenariat. Dès lors, les permis d'exploitation ont été renouvelés jusqu'en 2011.



Pour faciliter cette exploitation, et comme il est d'usage dans ces cas, l'entreprise a chargé Harmony Group, un partenaire de la transnationale sino-australienne, de produire un rapport sur l'impact social et environnemental de l'initiative de l'entreprise. Le résultat, comme on pouvait s'y attendre de la part d'une société de conseil qui partage son siège avec la multinationale, a indiqué qu'il n'y avait aucun risque écologique. En outre, elle a déclaré que 250 emplois seraient générés, ainsi qu'un fonds social d'environ 13 000 euros par an.


Malgré cela, le rapport a été présenté lors d'une audience publique en 2011 et rejeté par les populations locales concernées, qui ont organisé de nombreuses manifestations à son encontre. Finalement, la mobilisation populaire a conduit à la suspension du projet.
Cependant, la stratégie ne s'est pas arrêtée. En 2014, profitant de la publication par le gouvernement sénégalais du plan " Sénégal émergent ", dont l'objectif était de promouvoir des politiques visant à répondre à l'urgence économique, sociale et écologique jusqu'en 2035 - dont 30 % de fonds pour le secteur minier -, on a tenté de donner un nouvel élan en convoquant une deuxième audience publique. Malgré les pressions des entreprises et des institutions, les populations ont maintenu leur rejet du mégaprojet.


De même, la vision à long terme du pouvoir de l'entreprise a gardé le doigt sur le pouls, et la société a réussi en 2017 à renouveler le permis d'exploitation minière. Parallèlement, et dans le but de légitimer sa proposition basée sur le développement de sa responsabilité sociale d'entreprise, elle a signé un accord de parrainage avec le club de football local Casa Sport. En mai 2018, l'entreprise a également invité une délégation représentant les villages de la zone du projet à se rendre à Diogo, dans le nord du Sénégal, pour découvrir la première expérience d'extraction de zirconium dans le pays, en cours depuis 2014.


En raison de cette stratégie de légitimation, la division des communautés a été approfondie afin de faciliter le développement de l'initiative. À cet égard, la partie de la population favorable au mégaprojet a présenté un mémorandum, signé par le maire de la commune de Kataba, à laquelle appartient le village de Niaffrang, et le préfet de Bignona, et finalement approuvé par Astron Limited. Mais d'autres chefs de village ont signé un autre mémorandum rejetant toute forme d'accord entre la population et la transnationale, représentant la position de la majorité de la population.


En fin de compte, le projet n'a pas été mis en œuvre grâce à la résistance sociale et communautaire, qui a réussi à confronter à la fois le récit du progrès et du bien-être diffusé par l'entreprise et ses alliés, et la stratégie de pression institutionnelle et de welfarisme qu'elle a développée au fil des ans. Quoi qu'il en soit, la lutte se poursuit, car le gouvernement sénégalais continue de renouveler le permis d'exploitation, bien que le maximum légal de trois renouvellements ait été dépassé.
 
 
Derrière l'histoire officielle : les impacts prévisibles
 Les menaces pesant sur l'écosystème, dans un contexte de changement climatique accéléré, ont été la principale cause de dénonciation du mégaprojet, conduisant finalement à son rejet par la population et les organisations de la société civile.
 
D'une part, ils ont affirmé que l'extraction du zirconium entraînerait un enfoncement de 10 mètres de la dune locale, accélérant ainsi le processus de transformation de la mer en une zone marine protégée (ZMP). Il s'agit de la principale protection naturelle d'une zone de 50 000 hectares, qui abrite 40 villages pour une population de 25 000 habitants. Son enfoncement augmenterait le risque de submersion marine, facilitant ainsi sa disparition. Dans le même temps, elle entraînerait la destruction des rizières environnantes, avec un impact important en termes économiques et en termes de souveraineté alimentaire, puisque les communautés vivent de la culture du riz.
 
Un autre impact possible serait la disparition de la forêt de mangrove en raison des méthodes d'extraction prévues. En plus de capter le CO2, réduisant ainsi les effets du réchauffement climatique, la mangrove est un havre de biodiversité qui abrite des poissons, des huîtres, des tortues de mer, des singes, des oiseaux, etc., et fournit des ressources aux populations locales, tout en contribuant à ralentir l'érosion côtière en réduisant les vagues.
 
En même temps, elle présenterait un risque de contamination de la nappe phréatique lors de l'exploitation, car la profondeur des bassins d'exploitation coïnciderait avec la nappe phréatique des villages situés dans la zone. Cela s'ajouterait à la pollution atmosphérique qui serait générée par les déchets produits sur le site.
 
Enfin, les organisations et les populations dénoncent le fait qu'il y aurait peu de possibilité de réhabiliter la zone après exploitation, comme ce fut le cas pour un site en Gambie exploité par la multinationale, qui n'a pas été réhabilité à la fin de son contrat et est devenu une zone désertique.


Résistance : la valeur de l'organisation sociale
Le succès obtenu jusqu'à présent pour paralyser le mégaprojet a consisté fondamentalement en l'articulation de divers acteurs, dans le cadre d'une stratégie basée sur une mobilisation sociale permanente et inclusive.


En ce sens, et après l'arrêt initial du projet en 2011, le Comité de résistance " L'appel de la dune " a été créé en 2017 en réponse au renouvellement du permis d'exploitation. Ce comité était composé des communautés touchées - avec une participation particulière des jeunes - d'organisations de la société civile et d'un groupe de chercheurs et de spécialistes. En outre, un comité international de lutte contre l'exploitation du zirconium a été soutenu, avec la participation d'organisations internationales présentes en Casamance.
Dans tous les cas, le leadership a été assuré par des jeunes, qui avaient une connaissance directe des impacts d'un projet similaire en Gambie. Leur activisme a généré une logique de mobilisation sociale permanente, atteignant même les médias.
Marche contre le projet d'exploitation de zirconium de Niaffrang à Ziguinchor, 2017.        Source : Forum civil de Bignona.
 
De manière complémentaire, le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) a considéré le mégaprojet comme illégal dès le départ, dont le seul objectif serait de piller les ressources de la Casamance. Le soutien social et politique de ce groupe indépendantiste a également eu un impact, ses représentants ayant participé à des marches et des manifestations organisées par la population, et donné des interviews au cours desquelles ils ont menacé de mettre fin à l'accord de paix signé en 2002 si le projet n'était pas arrêté.
 
Mais le réseau créé a dépassé les sphères politiques et sociales, et a également touché le monde universitaire et la recherche sociale, comme condition de base pour affronter le récit des entreprises. Ainsi, un groupe de 40 chercheurs et spécialistes de différents pays et domaines (géographes, hydrologues, historiens, écologistes, sociologues, etc.) a réussi à sensibiliser aux risques environnementaux et aux lacunes du rapport lors de multiples événements et conférences.
 
Enfin, le comité international composé de résidents locaux, d'ONG internationales comme Oceanium Dakar, Green Peace, d'organisations de la société civile comme le Forum civil de Bignona, le collectif Y'en A Marre et divers artistes, a élaboré une stratégie de plaidoyer auprès du gouvernement sénégalais afin d'annuler le contrat avec Astron Limited. Des conférences nationales et internationales ont été organisées, des articles de presse ont été publiés, des signatures ont été recueillies pour rejeter la proposition, des marches ont été organisées et une lettre ouverte au président a même été publiée pour demander l'annulation du projet.
 
En bref, ce cas est un exemple de résistance et de résilience des communautés et des organisations sociales en Casamance, une région historiquement dépossédée de ses actifs naturels. Une résistance aux récits officiels, tant de la part des multinationales que de leurs partenaires institutionnels, sur la durabilité du nouveau capitalisme vert et numérique, dont les impacts sont destructeurs en termes écologiques, sociaux et économiques, tout en dénaturant la compétition politique démocratique.



En tout cas, comme nous le disons, la lutte continue. Le projet de mine de zirconium à Niaffrang a été stoppé, mais la frontière extractive ne renonce pas à continuer d'étendre son rayon d'action en Casamance. Et, comme nous l'avons souligné, dans l'ensemble du continent africain, avec cette logique capitaliste de dépossession et de néo-colonisation. Puisse cet exemple servir de contagion pour l'avenir, démontrant que la résistance populaire peut démanteler la stratégie des entreprises pour défendre leurs droits, leur territoire et leur vie.
 
Auteurs : Abdoulaye Diallo, coordinateur du Forum civil de Bignona, et Clara Sancho Talbot, représentante du PcD au Sénégal.
 

 
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