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Marchand ambulant à Dakar : Plongée dans l'enfer des infortunés de la ville

Mercredi 7 Septembre 2022

A l'image de toutes les grandes villes du monde, Dakar aussi est en proie à une circulation très dense. Nonobstant les causes des bouchons notés çà et là, dans la capitale sénégalaise, le sujet du jour portera sur certains “heureux” de la circulation, au moment où chauffeurs et passagers à bord des voitures crient leur ras-le-bol. En effet, entre une rareté et une cherté des produits, le chaud soleil et la pollution sonore des voitures, le regard méprisant des conducteurs et l'insensibilité des passagers, le stresse des va-et-vient incessants et la hantise d'une fin de journée sans bénéfice, ils sont nombreux ces jeunes sénégalais qui se bousculent entre les voitures, pendant les embouteillages, à la recherche de lendemains meilleurs.

Comme bon nombre de sénégalais soucieux de sortir la famille des difficiles conditions de vie, en plus d'être des assoiffés de lendemains meilleurs, ils ont décidé de quitter leur territoire natal, à la découverte d'autres horizons, avec l'espoir de revenir un jour changer le décor social de leur famille. Pour la plupart de ces jeunes dont il est question ici, Dakar était vu comme une issue de secours. Malheureusement, ils vont vite déchanter, car, confrontés aux difficiles conditions de vie qui ponctuent toutes les grandes villes. S'ils sont pratiquement tous habitués à se réveiller de bonne heure, la différence ici est que désormais, ils ne se lèveront plus pour aller aux champs, mais pour faire face au calvaire qui rime d'avec le quotidien d'un marchand ambulant.

Le Baol-Baol de Castor

Il est 11h quand nous descendons du Pont Hann, pour nous garer devant les bureaux du concessionnaire EMG, alors que nos interlocuteurs du jour, les marchands ambulants eux étaient déjà au travail depuis 6h du matin. Comme d'habitude, la circulation dans ce tronçon qui va vers le rond-point Castor est déjà étouffée. Ici, klaxons et ronflements de voiture s'entrechoquent avec les sifflets des policiers, alors que les cris des vendeurs se confondent avec ceux des apprentis et des simples passants. C'est dans ce brouhaha indescriptible qu'apparaît de loin la silhouette de Mame Gor, avec qui on s'était entretenu quelques jours auparavant.

Bonnet mouride marron bien visé sur la tête, un gros woofer noir (haut-parleur de sons graves) entouré de jeux de lumière dans la main gauche qui laisse sortir du mbalax (musique sénégalaise) pur de Wally SECK, des dizaines d'écouteurs et des accessoires de téléphone autour du cou, sans oublier ce lot de gadgets qui orne son bras droit, le jeune Baol-baol (habitant de baol), sourire aux lèvres nous demande de le rejoindre. Entre deux coups d'œil sur la route et sur un ton moqueur, il nous reproche d'être des retardataires alors que, nous lui informons qu'il ne devait pas oublier qu'il était un "come on town" (nouveau venu en ville). Même si les gouttes de sueur sur son front renseignent qu'il avait commencé il ya longtemps, lui affirme n'avoir encore rien vendu. " sokii ma (déclenche moi)", nous dit-il toujours dans son élan de détendre l'atmosphère. Alors pour jouer le jeu, nous lui tendons 1000 francs cfa pour deux écouteurs.

Apparemment très ravi d'avoir pû enfin mettre quelque chose dans sa poche, Mame Gor qui perdait petit à petit ses rastas certainement, du fait de la chaleur de ces derniers jours, nous relate une page de sa vie. "Avant, j'étais le meilleur footballeur du village et je voulais devenir professionnel. J'ai arrêté l'école en CM2 et je jouais aux navétanes. Mais quand mon père a commencé à devenir vieux, il m'a fallu prendre la relève. A mon arrivée ici à Dakar, je travaillais dans un poulailler à Tivaoune Peulh. Puis, j'ai fait la connaissance d'un ami qui m'a invité dans le business. Et, 3 ans après, me voilà toujours à courir derrière les voitures".

A 34 ans, Mame Gor aimerait bien pouvoir changer de métier pour gagner plus et s'épanouir. Mais, conscient de ses devoirs envers sa famille, il est obligé de continuer le chemin, comme en témoignent ses propos: " J'ai déjà pensé à arrêter et retourner au village, mais, je sais que c'est impossible. J'ai des sœurs et ma mère qui attendent beaucoup de moi. Peut-être qu'un jour tout ceci sera dépassé".

Même s'il a des frères qui travaillent, ce sont des mariés qui doivent donc aider leur propre ménage. Mame Gor, lui, n'a pas encore rencontré une femme avec laquelle se marier. Il est persuadé qu'il doit d'abord avoir un minimum d'argent pour lui-même. Pourtant, toute la journée passée dehors ne lui permet pas encore d'épargner. "Comment épargner? Vous n'êtes pas censé ignorer que la vie à Dakar est très chère. Déjà que le loyer me coûte une bonne partie de mes revenus. Sans compter mon alimentation et ce que je dois envoyer au village. Tous les jours je prie pour que Dieu nous apporte la chance et je ne perds pas espoir", conclut-il? avant de nous demander de le libérer pour retrouver son travail, à moins que l'on soit prêt à lui payer 20.000 francs CFA pour la journée.

La veuve venue de Tamba

Après plus d'une heure passée à la Cité des Eaux, le moment était venu pour nous de retourner au Croisement Cambérène retrouver la dame Dieynaba Kandé qui avait juré de nous parler, en attendant qu'elle vende quelque chose. Ainsi, trouvé en bord de la RN1, non loin du Carrefour et des vendeurs de chaussures, glacière au bras gauche et un sachet d'eau à la main droite, Dieynaba originaire de Tamba et logeant à Pikine fait partie de ces braves dames qui sont arrivées à Dakar, avec l'espoir de voir le bout du tunnel.

Comme promis, la dame au teint clair, avec le tee-shirt blanc qui a perdu sa couleur originale, nous attire dans un coin, le temps qu'elle se confie à nous. "Tous les matins je vais au marché puis je cuisine. Pour la sauce des beignets, je fais ça avec des oignons, des tomates et un peu de piment. Les « guerté soukar » (arachides sucrés) eux sont composés de cacahuètes et de sucre avec un peu de beurre. Sinon, je vends aussi des cacahuètes salées simples", explique-t-elle comme pour nous prouver qu'en plus des sachets d'eau, elle vend aussi autre chose.

Cette mère de deux filles à seulement 28 ans et veuve, dont le visage et le teint cachent mal le poids de la vie sur ses épaules, avait quitté la capitale orientale, à la recherche de travail. Toutefois, arrivée à Dakar depuis plus de 2 ans, la jeune maman se rend rapidement compte que les choses ne sont pas aussi faciles qu'elles semblent l'être, vu de loin. " J'ai très vite compris qu'il me fallait trouver quelque chose à faire, pour ne pas rentrer bredouille à la maison.

Après avoir passé les six premiers mois à faire le tour des maisons à Pikine pour faire le linge, j'ai décidé de me fixer quelque part, pour vendre de l'eau. Puis avec le temps, j'y ai associé la vente d'arachides et de « fatayas. » Tout cela, pour ne pas avoir à entrer dans du travail immoral", renseigne-t-elle, dans un calme remarquable. Pourtant, malgré les centaines de kilomètres qui la séparent de sa famille, Dieynaba ne perd jamais l'occasion d'aller rendre visite à sa mère et ses filles restaient à Tamba, contrairement à certains qui ne le font qu'une fois par année, pendant les fêtes de Tabaski.

Les deux Saloum-Saloum

Plus tard dans la journée, à la sortie n°7 du Péage, à hauteur de Poste Thiaroye où nous avons terminé notre parcours, trouvés assis sur la dalle qui sépare les deux sens de l’autoroute, Ibou et Mame Cheikh, discutent des fortes pluies qui sont tombées sur la capitale sénégalaise, ces derniers jours. Entre les nombreux dégâts et les inondations enregistrées, ils ne savent pas pour quelle catastrophe verser des larmes.

Les deux jeunes kaolackois, vendeurs d'arachide, dates et autres aliments mis en sachets pour l'un et de tapis de prière, en plus de mouchoirs pour l'autre se confient à nous en ces termes: "Je fais ce travail parce que je ne veux pas voler. Ce n’est pas évident de circuler sur la chaussée avec les voitures. Vous savez qu’il y a beaucoup de vendeurs dans les marchés et il y en a aussi qui circulent dans les rues. Il est difficile d’écouler sa marchandise dans ces conditions. Par contre ici, on arrive à vendre notre marchandise".

Avant que son collègue aux dents marron et le visage renfrogné ne lui arrache le dictaphone des mains pour indiquer qu'ils font ce travail parce que n'ayant pas autre chose à faire. "Ce n’est pas aisé cette vente à la sauvette au milieu des voitures. De plus, les revenus sont maigres. Je n’ai vendu la moindre boîte (il nous montre une boîte de mouchoirs) depuis ce matin. La réalité c’est qu’ici, il n’y a rien du tout. Si j’avais autre chose à faire, je quitterai ce travail aujourd’hui même", rouspète-t-il. Apparemment alerté par un klaxon, Mame Cheikh nous quitte à la hâte pour répondre à l'appel d'un client au bord de sa Jeep, pendant que Ibou lui prend la peine de nous dire au revoir gentiment.

Pendant ce temps, les petites pluies par intermittence qui arrosent encore le sol et qui rendent le goudron glissant ne semblent détenir le pouvoir d'arrêter tous ces fervents ambitieux qui n'ont d'objectif que la réussite sociale. Enfin, si tous les jeunes rencontrés viennent pour la plupart de l’intérieur du Sénégal et sont en général d'avis que le travail est extrêmement difficile, il n'en demeure pas moins qu'ils acceptent de se plier aux règles du jeu, en attendant de trouver autre chose. Et dans ce contexte où trouver du travail est une chose encore beaucoup plus compliquée, ils essayent tant bien que mal de tirer leur épingle du jeu, pour soutenir leur famille restée à la maison, pendant que l’État multiplie les stratégies et la politique de lutte contre le chômage.

 
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