La question de la gestion des biens publics matériels demeure l’un des angles morts de la réforme de l’État. Pourtant, derrière chaque ministère, chaque administration ou collectivité, se cache un volume important de matériels, d’équipements et de stocks dont la traçabilité est essentielle pour la performance publique. Leur mauvaise gestion coûte aujourd’hui très cher au pays.
Des pertes estimées entre 20 et 30 milliards par an
Livraisons fictives, surfacturations, achats doublons, inventaires incomplets, matériels introuvables, absence d’agents formés… Ces dysfonctionnements, souvent acceptés comme « habituels », génèrent selon plusieurs estimations 20 à 30 milliards de francs CFA de pertes annuelles pour l’État.
Ce chiffre est considérable. Il représente l’équivalent de plusieurs infrastructures publiques, de milliers d’équipements scolaires ou sanitaires, ou encore de programmes entiers de modernisation administrative.
Un secteur stratégique, mais oublié
La comptabilité des matières reste peu valorisée.
Dans beaucoup de structures, elle est confiée à du personnel non formé, sans outils numériques, sans procédures harmonisées et sans vision de performance. Cette faiblesse fragilise l’ensemble de la chaîne de dépense publique.
Pourtant, la maîtrise des biens matériels est aussi importante que la maîtrise des flux financiers. L’argent dépensé pour acheter l’équipement est surveillé ; l’équipement lui-même, une fois acheté, ne l’est presque jamais.
Une réforme pragmatique et structurante
Pour rompre avec cette situation, trois axes majeurs peuvent permettre une transformation durable :
1. Créer un Centre national dédié aux audits et au contrôle logistique
Cet organe permettrait d’harmoniser les pratiques, d’auditer les stocks, de fiabiliser les inventaires et de produire des indicateurs fiables à destination du Gouvernement.
2. Mettre en place une Direction chargée de former et certifier un corps national de comptables des matières
Professionnaliser ce métier est la condition pour garantir rigueur, transparence et efficacité.
3. Déployer un système d’information intégré pour la traçabilité des biens publics
Un outil unique, numérique, permettant un suivi en temps réel, éviterait les doublons et rendrait l’administration plus efficace, plus transparente et plus responsable.
Un enjeu budgétaire, mais aussi éthique
Moderniser la gestion des biens publics, ce n’est pas seulement économiser des milliards.
C’est aussi renforcer la confiance du citoyen envers l’État, améliorer la planification, sécuriser les ressources publiques et soutenir la volonté affichée de rationaliser les dépenses.
Conclusion
A l’heure où le Sénégal cherche à optimiser chaque franc dépensé, la gestion des biens matériels doit être érigée en priorité nationale.
Structurer, professionnaliser et digitaliser cette fonction permettra non seulement de réduire les pertes, mais aussi de renforcer la transparence et l’efficacité globale de l’action publique.
Le moment est venu d’inscrire cette réforme dans l’agenda gouvernemental.
Elle est techniquement faisable, budgétairement justifiée et politiquement nécessaire
El Hadji Diaydi Bâ Cissé,
juriste spécialiste de la Gouvernance publique et de la réforme de l’Etat
diaydi@yahoo.fr
