Le règne de Samuel Kanyon Doe, marqué par un pouvoir centralisé et une violence systématique, illustre l’un des schémas les plus récurrents des régimes autoritaires en Afrique : l’instrumentalisation de l’ethnie comme pilier de domination politique. Une fois arrivé au pouvoir par un coup d’État sanglant en 1980, Doe place massivement les membres de son groupe, les Krahn, aux postes clés de l’armée, de l’administration et de l’appareil sécuritaire, transformant l’État libérien en un système clientéliste fondé sur la loyauté ethnique. Une stratégie de survie politique qui, loin de stabiliser son régime, attise les tensions communautaires et précipite le Liberia dans une spirale de méfiance, de répression et, finalement, de guerre civile.
Dans les brumes chaudes du Liberia de la fin des années 1970, un homme modeste, Samuel Kanyon Doe, s’apprête à changer à jamais le destin de son pays. Militaire né le 6 mai 1951 à Tuzon, ancien sergent formé par les bérets verts américains, il n’est pas destiné à figurer parmi les dirigeants traditionnels de l’élite politique libérienne. Et pourtant…
Il dirige le Liberia du 12 avril 1980 à sa mort en 1990, d’abord comme président du People’s Redemption Council (1980-1986), puis comme président de la République (1986-1990).
Le 12 avril 1980, à seulement 28 ans, Doe orchestre un coup d’État militaire sanglant. Le président William R. Tolbert Jr. est tué dans son lit au manoir exécutif par les soldats de Doe, dont Harrison Pennoh, simple soldat qui sera ensuite déclaré mentalement instable. Vingt-six partisans de Tolbert sont également tués dans les combats. Peu après, des ministres du gouvernement sont promenés nus autour de Monrovia, puis exécutés publiquement sur une plage. Treize membres du gouvernement Tolbert sont fusillés sans procès équitable, sans défense, sans possibilité d’appel. Leur exécution est présentée comme une « révolution » par les dix-huit soldats ayant renversé le régime.
À noter que le seul membre du gouvernement Tolbert à avoir échappé à l’exécution était le ministre de l’Agriculture, également issu de l’ethnie Krahn. Cet homme n’est autre que l’actuel président du Liberia.
Ce coup d’État met fin à plus d’un siècle de domination du True Whig Party, parti de l’élite américano-libérienne, descendants d’anciens esclaves venus des États-Unis. Pour la première fois depuis l’indépendance en 1847, un descendant d’autochtone devient chef de l’État.
Après sa prise de pouvoir, Samuel Doe suspend la Constitution de 1847 et met en place un gouvernement provisoire, le People’s Redemption Council, qu’il préside. Très vite, il instaure un régime d’exception marqué par la répression, les arrestations arbitraires et les exécutions sommaires. Issu de l’ethnie Krahn, il favorise largement son groupe d’origine, exacerbant les tensions ethniques.
Dans le contexte de la Guerre froide, Doe bénéficie d’abord du soutien des États-Unis sous Ronald Reagan, soutien qui s’érode progressivement au rythme de la corruption, de la violence politique et de l’impopularité croissante de son régime. Élu en 1985, il instaure rapidement une gouvernance autoritaire où l’appareil sécuritaire domine l’espace politique.
En 1989, une rébellion menée par Charles Taylor déclenche une guerre civile qui embrase le Liberia. En 1990, Prince Johnson, chef rebelle dissident, capture Samuel Doe. Sa fin est d’une extrême brutalité : torturé, mutilé, exécuté d’une balle, son corps est exhibé en public et conservé dans le formol pour montrer sa chute.
Ainsi se referme le chapitre violent d’un homme dont l’accès au pouvoir a bouleversé l’histoire du Liberia, mettant fin à un ordre politique ancien mais ouvrant la voie à une décennie de guerre civile et de déstabilisation profonde.


