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Mali : Assimi Goïta est dos au mur

Vendredi 24 Décembre 2021

À deux mois de la fin réglementaire de la transition, et après avoir annoncé le report des élections promises en février 2022, Assimi Goïta n’a plus beaucoup d’options. Pour sauver son bilan et sortir par la grande porte, le colonel putschiste doit jouer les rassembleurs.

À quoi pensait le colonel Assimi Goïta ce matin du 7 juin quand il a troqué son habituel treillis pour l’uniforme de commandant du Bataillon autonome des forces spéciales des centres d’aguerrissement (BAFS-CA), dans lequel il a prêté serment en chef militaire devant la Cour suprême ? Avait-il alors mesuré la portée de cette nouvelle fonction quand, main gauche sur la Constitution et main droite levée vers le ciel, il a juré « devant Dieu et le peuple malien de respecter la Constitution et la charte de la transition » ? Lui qui a toujours préféré l’aventure sur les terrains périlleux de Mopti aux fastes du pouvoir se sentait-il à la hauteur de la tâche ?


Sept mois après la mise en place du deuxième gouvernement de transition, les engagements pris par Goïta, le 16 septembre 2020 à Accra, lors d’un sommet extraordinaire de la Cedeao sur le Mali au cours duquel il a assuré que la transition ne durerait que dix-huit mois, semblent loin d’être respectés. Début novembre, les autorités maliennes ont porté à la connaissance de la Cedeao leur volonté de prolonger la transition au-delà du 27 février 2022, date à laquelle devaient se tenir les élections présidentielle et législative. Une décision qui risque d’entraîner de lourdes sanctions contre le pays.

Ultimatum de la Cedeao
En effet, si lors de la 60e session ordinaire de la conférence des chefs d’État de la Cedeao, le 12 décembre à Abuja, aucune sanction immédiate n’a été appliquée sur le Mali, force est de constater que l’issue de cette réunion n’est pas si favorable que cela pour Bamako.


Bien qu’elle ait pris acte de la correspondance du président de la transition, qui a promis de porter un nouveau chronogramme à la connaissance des dirigeants ouest-africains d’ici au 31 janvier 2022 – pour apaiser les tensions et faire preuve de bonne volonté – la Cedeao n’a pas donné raison à Goïta. Elle a, malgré les efforts, décidé de réitérer sa position initiale, qui est de maintenir la fin de la transition à date. « Les chefs d’État, après de longs échanges, ont décidé de maintenir la date du 27 février 2022 pour l’organisation des élections au Mali. Ils ont décidé de l’entrée en vigueur de sanctions additionnelles en janvier 2022 », a fait savoir l’instance régionale.

Avant cela, le 27 décembre constituera une étape décisive. Conformément à la loi électorale malienne, le président Goïta a jusqu’à cette date pour signer un décret présidentiel portant convocation du collège électoral. S’il est signé, ce décret actera la tenue du double scrutin au 27 février 2022. Cependant, dépassé ce délai, la prolongation de la transition sera officiellement entérinée et la Cedeao pourra, dans ce cas de figure, légitimement appliquer des sanctions supplémentaires sur le Mali pour « non respect du délai réglementaire de la transition ».



Assimi Goïta pourra-t-il se tirer d’affaire ? Alors que les nouvelles autorités de transition misent beaucoup sur le soutien des Maliens en capitalisant sur un discours très nationaliste, en interne le gouvernement de transition est pressé de toutes parts.

Vers un front contre la transition ?
Face à un horizon incertain, à Bamako, les partis politiques s’agacent. « Les défis de la transition n’ont pas été relevés, juge Housseini Amion Guindo, le leader de la Convergence pour le développement du Mali (Codem). À trois mois du délai initialement convenu par le pouvoir de transition, les autorités ont réussi à se mettre le monde entier à dos, en commençant par la Cedeao qui menace d’accentuer les sanctions à l’encontre de notre pays », regrette-il.


Pour cet ancien ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta, les dirigeants actuels ne laissent entrevoir aucune porte de sortie. Outre le non-respect des délais de la transition, les successions de grèves ces dernières semaines dans le secteur bancaire et l’augmentation du prix des produits de première nécessité crispent une partie de la population qui, en battant le pavé pour faire partir IBK, rêvait à plus de justice sociale.

Ce constat amer trouve également un écho retentissant chez d’anciens alliés du pouvoir en place. La prolongation de la transition, les nombreuses arrestations de figures politiques, l’essor d’un discours nationaliste ont poussé nombre d’entre eux à prendre leur distance avec Koulouba. « La transition a échoué », lance, écoeuré, Issa Kaou N’Djim, 4e vice-président du Conseil national de transition (CNT) qui a été démis de ses fonctions à la suite d’une sortie sur un média local dans laquelle il n’a pas mâché ses mots envers Choguel Maïga.

Le changement de cap de cette ancienne figure du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qui fut un fervent supporteur de Goïta et appelait à son élection à la prochaine présidentielle, illustre le malaise qui existe au sein de la classe politique malienne. « Prolonger la transition est un aveu d’échec pour les autorités. La charte de la transition écrite par nos soins était connue de tous. Celle-ci préconisait de trouver tous les moyens pour assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire. Au regard de la situation, seize mois après, cela n’a fait que se dégrader. »


Au sein du M5-RFP, qui a porté Choguel Kokalla Maïga à la primature et quelques membres dans le gouvernement – le ministre de la Refondation, Ibrahim Ikassa Maïga par exemple – certains cadres avouent ne plus être en phase avec l’orientation politique donnée par Choguel. « Il n’y a pas d’espérance dans le nationalisme, se désole Tahirou Dembélé, conseiller politique de Modibo Sidibé. Le discours de Choguel Maïga vire au populisme et cela est dangereux. »



Dans ce régime d’exception, qui souhaite qu’il n’y ait ni opposition ni majorité, le gouvernement peut toutefois compter sur un allié de taille :  l’Union pour la République et la démocratie (URD), ancien principal parti de l’opposition sous IBK. Malgré la disparition de son leader, Soumaïla Cissé, l’URD est un parti qui conserve une base électorale très solide et des membres du bureau politique influents au Mali. Ses cadres, qui ne cessent d’affirmer leur soutien à la transition, jugent que les partis politiques qui se constituent en opposition sont des revanchards qui souhaitent l’échec de la transition. « Les hommes qui s’opposent au pouvoir actuel sont majoritairement issus du régime d’IBK. Ils sont nostalgiques de l’ancien système qui a pris fin grâce au M5 », dénonce Moussa Sey Diallo, secrétaire adjoint chargé de la communication du bureau national de l’URD.

Si le parti est jusque-là satisfait de la transition, Moussa Sey Diallo concède néanmoins que la discrétion d’Assimi Goïta pose problème. Taiseux et très peu à l’aise devant les micros, Goïta, qui limite ses sorties aux quinze kilomètres qui séparent le camp militaire de Kati et Koulouba, doit « réunir autour du Mali en allant devant les Maliens et les leaders d’opinions à Bamako et au-delà des frontières de la capitale », plaide le chargé de communication de l’URD.

Les Assises nationales boudées
Alors que les derniers soldats de l’opération Barkhane ont quitté Tombouctou, ce 14 décembre, à Bamako le dialogue entre l’exécutif et les signataires de l’accord pour la paix de 2015 ne cessent de se distendre. Le 10 décembre dernier, ils sont sortis de leur silence pour dénoncer leur « exclusion » des Assises nationales de la refondation. Un dialogue national, jugé indispensable par le Premier ministre, à l’issue duquel Goïta doit présenter le nouveau chronogramme.



Pourtant, certains signataires de l’accord pour la paix, issu du processus d’Alger de 2015, à savoir la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme, ainsi que la Coordination des mouvements de l’inclusivité (CMI), créée après l’accord, avaient manifesté leur intérêt pour les Assises nationales de la refondation qui ont pris fin le 31 décembre. Moussa Ag Acharatoumane, porte-parole du Cadre stratégique permanent (CSP) – regroupant la CMA et la Plateforme -, confie à Jeune Afrique que les signataires ont multiplié les relances auprès du président de la transition et des ministères concernés par l’organisation de ces concertations. En vain. Face aux positionnements de l’exécutif, les principaux acteurs de l’accord pour la paix, qui disent ne pas comprendre cette décision, ont annoncé que ces assises ne les « engagent pas ».



Le pouvoir ne risque-t-il pas de regretter, après coup, cette rupture ? En tout cas, Moussa Ag Acharatoumane ne conçoit pas que des sujets soient organisés autour de l’APR (Accord pour la paix et la réconciliation, la dénomination usuelle de l’accord d’Alger), lors de ces assises, sans que ses signataires ne soient présents. Au cours de ces consultations, les Maliens seront appelés à débattre autour des raisons qui rendent difficiles la « non-appropriation de l’accord par les populations » ou encore des difficultés relatives à son application stricte.

Le boycott des assises par les signataires de l’accord est un coup dur pour les autorités de la transition. Dès le lendemain de la chute d’IBK, les colonels putschistes avaient pris l’engagement de faire de l’application de l’APR de 2015 une priorité.

L’accord de paix malmené
Six ans après sa signature, cet accord qui était vu comme l’outil qui permettrait de ramener la sécurité dans le nord du Mali divise profondément les Maliens et les gouvernements qui se succèdent. Quand certains réclament sa relecture, d’autres plaident pour son application stricte.


« Au début de la transition, nous avions de bons rapports avec les autorités mais, avec l’avènement de Choguel Maïga et la programmation des Assises nationales, nous avons senti une prise de distance du gouvernement à notre égard », poursuit Moussa Ag Acharatoumane qui déplore également « le manque d’avancée dans l’application de l’accord de paix. » Au début du mois d’octobre déjà, ces groupes avaient annoncé leur retrait des discussions avec le gouvernement de Bamako, jugeant que le processus patinait. Estimant que le colonel Ismaël Wagué, ministre de la Réconciliation – qui appartient au groupe de colonels qui a perpétré le coup contre IBK – n’est pas à la hauteur à cause de certaines prises de position, ils avaient aussi demandé son remplacement par une figure plus « neutre ».


De son côté, Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères, l’un des négociateur de l’APR, reconnaît que « malgré les difficultés et retards, le processus avance ». Sur le plan politique, il souligne le fait que la transition s’est montrée inclusive en attribuant des portefeuilles ministériels à quatre membres des groupes signataires de l’accord. De plus, M. Diop assure auprès de Jeune Afrique que Bamako travaille en synergie avec ces mouvements pour accélérer le processus d’armée reconstituée (le programme désarmement, démobilisation et réinsertion), dans le but de renforcer la sécurité dans le Nord.

Isolé à l’international comme en interne, le gouvernement de transition semble vouloir tempérer les discours nationalistes en optant pour un apaisement des débats à travers le pays. Mais n’est-ce pas trop tard ? Mi-décembre, le Cadre d’échanges des partis et regroupement de partis politiques pour une transition réussie – qui comprend entre autres le Parena, le Codem… – et d’autres figures comme Issa Kaou N’Djim, annonçaient à Jeune Afrique une grande manifestation pour le 27 décembre, afin de s’opposer à la prolongation de la transition et de rétablir « l’ordre constitutionnel ». Avec quels résultats ? L’histoire a montré qu’à Bamako, quand ça grogne dans les rues, Koulouba tremble. 


JEUNE AFRIQUE
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