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Le groupe Wagner tente-t-il de s’implanter en RDC?

Jeudi 25 Août 2022


Du 15 au 18 août, à Moscou, la dixième conférence sur la sécurité internationale a été une nouvelle fois l’occasion pour la diplomatie militaire russe de renforcer ses liens avec les délégations du continent. Parmi ces dernières, figurait notamment celle de Kinshasa, le président Félix Tshisekedi ayant dépêché son ministre de la Défense, Gilbert Kabanda Rukemba.


Ce déplacement de Gilbert Kabanda Rukemba à Moscou intervient surtout alors que la Russie tente, notamment depuis la résurgence du M23 dans l’est de la RDC, de se positionner comme un potentiel fournisseur d’armement pour équiper une armée congolaise aux besoins importants. Le chargé d’affaires de l’ambassade russe en RDC, Viktor Tokmakov, l’a ainsi fait savoir officiellement à plusieurs reprises à des conseillers et à des membres du gouvernement de Félix Tshisekedi.

Après avoir échangé, mi-juin, avec le ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, ce diplomate parfaitement francophone s’est également entretenu début juillet avec le patron du Mécanisme national de suivi de l’accord d’Addis-Abeba, Claude Ibalanky. Si ce dernier a été relégué depuis peu au second plan dans le dispositif sécuritaire du président Tshisekedi, l’initiative n’en témoigne pas moins d’une offensive du Kremlin en terre congolaise. D’autant que celle-ci pourrait comporter des pans plus secrets.



Le profil de Viktor Tokmakov a alerté plusieurs chancelleries et services de renseignement occidentaux. Étonnés par l’ampleur des manifestations hostiles à l’ONU ces dernières semaines, ces derniers craignent que le Kremlin veuille utiliser, comme auparavant en Centrafrique et au Mali, ses supplétifs privés de Wagner en RDC. Or, Tokmakov est un familier de ces mercenaires.



Interlocuteur des groupes armés centrafricains…
Avant d’être nommé chargé d’affaires à Kinshasa en 2021, Victor Tokmakov occupait en effet le même poste à Bangui, où il travaillait au moins depuis six années. Selon nos sources, il y est à l’époque, en 2015 et 2016, l’un des seuls diplomates russes. Ses contacts le disent alors extrêmement discret, au point que lui est confiée une mission délicate : faciliter un rapprochement entre les groupes armés centrafricains et le président Faustin-Archange Touadéra, nouvellement élu, et faire de la Russie leur intermédiaire.

Selon nos informations, Viktor Tokmakov prend ainsi contact dès décembre 2016 avec plusieurs chefs rebelles, alors favorables à un dialogue avec le chef de l’État centrafricain – lequel met notamment sur la table des négociations une réintégration de leurs effectifs à l’armée ou l’attribution de postes dans l’administration. Parmi les interlocuteurs de Tokmakov figurent Hassan Bouba, bras droit d’Ali Darassa, Abdoulaye Hissène, Souleymane Daouda ou encore Maxime Mokom.



Il tente aussi de se rapprocher de Noureddine Adam via l’un de ses proches, Fadoul Bachar. D’après l’une de nos sources, impliquée à l’époque dans cette initiative, Viktor Tokmakov a alors un objectif : parvenir à organiser, à Khartoum, une rencontre entre Adam, Touadéra et l’oligarque Evgeny Prigojine, le financier et patron officieux des mercenaires de Wagner, régulièrement présent au Soudan. La réunion n’aura finalement pas lieu, mais Noureddine Adam rencontre toutefois à Khartoum, fin décembre, l’ambassadeur russe au Soudan.


Dès 2016, Viktor Tokmatov est ainsi l’un des premiers artisans de l’implantation d’Evgeny Prigojine et de Wagner au cœur de Bangui. À partir de 2017, l’habitué du Relais des chasses – un restaurant banguissois – travaille dans la capitale centrafricaine en parfaite collaboration avec Valery Zakharov, bras droit de l’oligarque et numéro un des mercenaires russes auprès de Faustin-Archange Touadéra. Selon nos sources, le chef de l’État s’entretient d’ailleurs régulièrement avec les deux hommes au palais présidentiel, où ils ont leurs habitudes.

Avant même la première livraison d’armes russes, fin 2017, ou la signature des accords de paix de février 2019 – sous l’égide discrète des Russes et de Wagner –, l’activité de Viktor Tokmakov est signalée à l’ambassadeur de France à Bangui, Christian Bader, puis au Quai d’Orsay, à Paris. L’alerte – formulée notamment par l’ancien Premier ministre Mahamat Kamoun – concernant les activités de Tokmakov et de Wagner restera lettre morte pendant de nombreux mois. La diplomatie américaine est elle aussi informée, sans que cela ne vienne ralentir l’implantation des mercenaires du Kremlin.



Selon nos informations, Viktor Tokmakov travaille ainsi, au cours de 2018, à la création et au développement de Lobaye Invest, entreprise contrôlée par Wagner et appelée à devenir le bras commercial des mercenaires en Centrafrique, en particulier dans le domaine minier. Appelé en RDC en 2021, il est aujourd’hui soupçonné de vouloir y dupliquer le même schéma, en s’appuyant sur l’instabilité dans l’est du territoire et sur l’agacement d’une partie de la classe politique congolaise contre la prudence de certains partenaires occidentaux. Confronté ces derniers mois à la résurgence du M23, certains membres de l’entourage du président Félix Tshisekedi estiment que ces derniers ne soutiennent pas assez clairement Kinshasa dans le conflit qui l’oppose actuellement au Rwanda.



L’épineuse question de l’embargo
L’adoption, fin juin, d’une nouvelle résolution portant sur la prorogation du régime d’embargo sur les armes a aussi provoqué des tensions. S’il n’interdit plus, depuis 2008, au gouvernement congolais d’importer du matériel militaire, il oblige encore l’exportateur à notifier ses livraisons auprès des Nations unies pour certains types d’armes. Une contrainte qui dérange au sommet de l’État, où certains y ont vu un frein à l’accroissement des capacités militaires de la RDC.

La Russie, qui s’est abstenue lors de ce vote, a fait de cette frustration, dirigée principalement à l’encontre des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France – pays porte-plume de cette résolution –, l’un de ses angles d’attaque auprès de ses interlocuteurs au gouvernement et dans l’entourage de Félix Tshisekedi. Selon plusieurs proches de ce dernier, le mandataire spécial du président congolais, Serge Tshibangu, s’est entretenu fin juillet avec les diplomates américains, britanniques et français à Kinshasa, afin de revenir sur cette épineuse question de l’embargo et d’évoquer la discrète montée de l’influence russe en RDC. Ces échanges ont eu lieu à la suite de la tournée, dans plusieurs pays voisins de la RDC, du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.


L’influence russe est toutefois encore très limitée à Kinshasa, où Félix Tshisekedi a, pour le moment, fait le choix d’une proximité avec les États-Unis et d’un soutien à l’Ukraine, notamment lors d’un vote à l’ONU en mars 2022 en faveur de la résolution exigeant « une cessation immédiate des hostilités de la Fédération de Russie ».

Jeune Afrique
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