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Farba Senghor, tour à tour nervi, mutin, homme à tout faire...

Jeudi 23 Mai 2019

C’est devenu à force un genre de lexique propre dans la presse. Les militants politiques pour peu qu’ils soient zélés, ou minima très dévoués, ont bien, en fonction de l’expression de leur engagement, chacun leur ligne dans le dictionnaire politique qui suit.

Nervi pour ainsi désigner le militant agressif, possible mercenaire, que n’émeuvent ni la violence, ni les réquisits paisibles de la démocratie. Nuance plus militaire avec élément, terme neutre qui désignerait le militant qui grossit les rangs, tout à fait interchangeable. Plus haut dans la hiérarchie, il y a lieutenant, bras droit plutôt chic, homme à tout faire, dépositaire de la parole et de la pensée de son leader. Il jouit de sa confiance et de son estime. Comme camarade des traversées du désert, tout comme de l’ascension, il y a le compagnon, dans d’autres circonstances, appelé le fidèle. Il est proche, connaît les secrets, et forge sa réputation dans l’amitié originelle avec le chef qu’il aime sans trop le craindre, en cela que la familiarité dénude souvent le mystère et affadit l’admiration. Pour garder la maison propre, il y a bien le disciple, autrement porte-flingue, à qui l’on confie les sales tâches, qui en sort miraculeusement purifié pour le maître. Pour finir, il y a l’amuseur, le comique, le fort-en-gueule et en muscle, fécond en bêtise, en fulgurance, client des médias et des faits divers.

Le genre Farba Senghor

Peu de gens pourraient se targuer d’avoir été pour leur chef politique tout cela à la fois. Sauf, peut-être, Farba Senghor. Il dame le pion à beaucoup d’autres aspirants de ce trône qui n’agrègent hélas pas toutes les qualités de Farba. Qu’il mesure deux mètres de virilité comme Moustapha Cissé Lô, qu’il ait un visage juvénile et belliqueux comme Mamadou Lamine Massaly, qu’il soit bluffeur et caïd des beaux quartiers comme Barthélémy Dias, le Sénégal tient en ces militants, une ressource inépuisable. Il n’est pas trop osé de prédire qu’une grande descendance suivra dans ce type de politique par la gesticulation et les décibels.

La violence, un péril constant en politique

La pratique de la violence, symbolique ou physique, n’est pas nouvelle dans le champ politique. On en a parlé ici même. Mais la dernière échéance électorale a semblé donner lieu à une escalade verbale et physique qui a empoisonné la période électorale. Pris entre les feux nourris de cette guerre, même la presse a fini dans les partis pris, quittant le temps du journalisme pour celui du militantisme. Déjà pauvre en finances et en crédit, la presse s’est alourdie d’une grande tare supplémentaire : elle a été l’une des grandes perdantes de ces élections avec l’érection de chapelles politiques à la place des rédactions. La critique de la presse est tellement devenue l’affaire des populismes divers qu’elle n’est plus tellement recevable. Le temps de la défense des journalistes est arrivé mais cette défense n’est pas à tout prix et sans condition. Il faut souhaiter, sans l’accabler, que la presse sénégalaise, elle-même, revienne à des fondamentaux, et qu’elle soigne sa pauvreté économique par une richesse des idées.

« Capitale de la douleur »

Farba Senghor, du temps de sa splendeur, au début des années 2000, s’en était pris à cette presse. En termes durs et parfois en actes répugnants toujours non élucidés. Il s’était proposé, s’assurant l’impunité dont il jouirait, de jouer les gros bras, pour être rétribué par le maître. Le Sénégal ne compte plus le nombre de journalistes agressés, acculés, attraits à la barre de la justice, empêchés dans leur travail. L’indice de recul de la liberté de la presse doit bien stagner dans les bas-fonds. Farba, tour à tour nervi, mutin, homme à tout faire, amuseur malgré lui, s’était vanté de représenter cette forme de rigueur politique dévoyée, qu’on n’applique hélas pas à la gestion de l’Etat, mais que l’on emploie avec les moyens de l’Etat pour intimider des adversaires et des contre-pouvoirs. Ce type d’action a fait des émules, sur les plateaux de télé, le virilisme est devenu, avec l’invective, la mode, et la condition de notoriété. Un débat à corps et à cris…

Vie & mort du talisman Farba Senghor

On prête à Idrissa Seck cette anecdote devenue phrase de la légende populaire « nos soucis d’argent sont terminés ». Voilà ce qu’aurait déclaré Abdoulaye Wade à son accession au pouvoir. Le mot est corroboré par quelques sources mais on n’est jamais prudent. A supposer qu’il soit vrai, il n’est pas tellement étonnant. Wade a chassé, au sens premier du mot, le pouvoir. Il a subi dans sa quête toutes sortes d’épreuves, la soif de Sopi s’appliquait à sa propre condition. Et la gabegie au sommet de l’Etat, qui a caractérisé les années Wade, atteste bien de la générosité suspecte et dispendieuse avec laquelle les deniers politiques ont été utilisés. Du chantier de Thiès aux autres chantiers régionaux, l’érection subite dans la classe sociale d’en haut d’arrivistes, l’enrichissement rapide, autres faits notoires des bébés Wade, restent un sujet d’enquête journalistique majeur. S’il prend des envies d’investigation aux journalistes, l’origine des grandes fortunes sénégalaises serait un bon début. L’enquête commence avec la noblesse du soupçon, et doit avoir la grandeur du démenti, en cas d’épreuve du terrain peu concluante.

Parmi les élus de cette période dorée, il y avait bien Farba Senghor. Jeune mal dégrossi, le visage lesté de traces de débrouille, les manières sont grossières, il semblait guindé dans ses costumes. Ni le tact du protocole, ni le minimalisme des grands postes ne le sauveront. Il est demeuré nature. Ce fut, cependant, la carte de la séduction, même marginale, qu’il a pu jouer et exercer sur certains. Il était authentique, et transpirait le parcours méritant. Si le diplôme est devenu la condition de l’ascension dans la hiérarchie étatique, Farba a fait ce qu’il a pu, il en a décroché (ou pas) un, d’Italie, devant les rires moqueurs de mépris. Mais l’homme savait que ce n’était pas sur ce terrain-là qu’il devait montrer les muscles. C’est plutôt dans l’arène politique au sens premier du mot qu’il avait quelque chose à faire valoir. Il avait des arguments pour lui : dans le quarteron de fidèles qui ont accompagné Wade, il était là, précoce, dans le premier cercle, dévoué. La sanction était logique : une promotion. Jusqu’au plafond, le ministère. Deux portefeuilles, sous les ordres de Macky Sall. Il avait déjà gagné. S’il ne restera pas dans les annales sénégalaises comme un modèle de ministre, il est à coup sûr resté dans l’opinion sénégalaise comme un fidèle de Wade ; et si, dans le champ politique, l’éclat n’est pas éblouissant, dans celui social, cela est comme une bénédiction.

Disciple ou citoyen, attraction ou répulsion ?

Du citoyen au disciple, il y un petit chemin. Les deux peuvent cohabiter, mais la morale nationale sacre encore plus le second, au détriment du premier. Qu’il s’appelle Béthio Thioune dans le champ religieux, ou Farba Senghor dans le champ politique, le dévoué se sait appartenir à une lignée. Il a l’onction suprême. Qu’il embellisse la béatification ou l’amoche, même controversé, et au soir de sa vie, dans la petite comptabilité des émotions qui accompagne la mort, on gardera ce souvenir pieux qui rachète presque les fautes, dans le jugement dernier d’ici-bas.

De la récompense en politique

Pour Farba Senghor, ce n’est pas gagné. Il semble avoir joué de malchance, de destinées cruelles. Il a réduit sa portion magique au fil des ans, pas sûr qu’il lui reste du ressort. Même comme transhumant potentiel il est embarrassant. Il avait pourtant inspiré, à ceux qui ne souhaitent pas que la politique ne soit que la reproduction des mêmes castes - et j’en suis - beaucoup de sympathie. Tout ce qu’il trainait comme défauts paraissait alors bien bénin. Toutefois, il s’est bien rendu coupable, ivre et suffisant, de la tare de tous les arrivistes : se croire au terminus et oublier le chemin. Si l’Etat reste la sanction d’un parcours militant, pas dans le service national mais dans la servitude et la jouissance, nous aurons des Farba Senghor, promus pour uniquement leur dévotion, la maîtrise des sujets étant parfaitement accessoire.

L’analyse politique dans ce pays se cantonne souvent au cadre, aux dispositifs, aux institutions aux évènements passagers. C’est bien dommage : le corps social qui engendre le corps politique, continue à façonner les figures. C’est bien lui qu’il faut explorer. C’est in fine la question de la récompense au pouvoir qui se pose. Généreuse religieusement, mais inopportune politiquement. Il en va ainsi de la fabrique des destinées. Les affects contre la raison. Vieille querelle. Farba fut une épitre selon Saint-Wade. Mais un pitre sans lui, qui flotte, déshérité, dans les âges politiques qui le maudissent, et qu’on a presque envie d’aider. Sans trop savoir comment...

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