Officiellement, il s’agirait d’une partie de pêche ayant mal tourné. Sur les rochers du Cap Manuel, à la pointe méridionale de Dakar, les enquêteurs de la prévôté n’ont retrouvé qu’un filet, des crevettes censées servir d’appâts, des chaussures et deux téléphones qui auront permis de localiser leur dernière position. Mais nulle trace du sergent Fulbert Sambou ni de l’adjudant-chef Didier Badji, respectivement gendarme (affecté à l’Inspection générale d’État) et sous-officier à la Direction du renseignement militaire (DRM).
Comment ces deux natifs de la Casamance, exerçant des missions sensibles au cœur des forces de sécurité sénégalaises, ont-ils pu se volatiliser ainsi ? Si une vague vigoureuse les avait emportés et que le courant ait entraîné leur mort par noyade, comment est-il possible que leurs effets personnels soient demeurés sagement posés sur les rochers, sur le site de leur disparition ? Le 29 novembre, Fulbert Sambou a été inhumé au cimetière Saint-Lazare, à Dakar. Sa famille n’avait pas été invitée à reconnaître le corps auparavant. Pour la famille de Didier Badji, en revanche, un fort scepticisme subsiste, lequel alimente désormais la controverse.
Scénario étrange
Le 5 décembre, un chalutier a en effet repêché au large de Saint-Louis un cadavre ayant durablement séjourné dans l’eau. La famille de Didier Badji est alors prévenue et dépêche une délégation à la morgue de l’hôpital Fann, à Dakar. Le cadavre est-il celui du disparu ? Le scénario peut sembler improbable puisque cela signifierait que son corps a dérivé tout au long des 350 km séparant le Cap Manuel de l’ancienne capitale coloniale, située à la frontière mauritanienne. Au regard des forts courants balayant la « Grande Côte », qui ne remontent pas du Sud vers le Nord, la probabilité est infime.
Pour reconnaître la dépouille, abimée après avoir séjourné en mer pendant plus de 15 jours, deux proches du disparu se rendent à la morgue. L’oncle et le frère du militaire, ainsi que l’avocat de la famille, Me Koureissi Ba, et le Dr Dialo Diop, mandaté par l’antenne sénégalaise d’Amnesty International pour épauler la famille.
Interrogé par Jeune Afrique, ce dernier est catégorique : « Son frère et son oncle ont affirmé qu’il ne pouvait s’agir de Didier Badji. En effet, selon eux, sa dentition ne laissait pas de place au doute. » Et Dialo Diop d’envisager que le corps d’un migrant noyé dans l’Atlantique ait pu être présenté à la famille en lieu et place du militaire disparu.
Bien que soucieux d’obtenir la vérité, le frère de l’intéressé décline toutefois la proposition qui lui est faite de procéder à une expertise ADN du corps, en comparant un échantillon du cadavre à un autre qui aurait pu être prélevé sur lui. Faute de moyens adéquats au Sénégal, cette expertise aurait été pratiquée en France, à l’Institut médico-légal du Quai de la Rapée, ce qui, manifestement, n’inspirait aucune confiance à l’entourage du disparu.
Nés dans l’eau
Ce 9 décembre, Moïse Badji n’a pu assister à la reconnaissance du corps de son « frère ». En réalité, il est son cousin germain, fils du frère de son père, mais les deux hommes, tous deux nés en 1965, entretenaient des liens privilégiés. C’est Moïse Badji, qui réside en Allemagne depuis 1993, qui a informé les journalistes sénégalais de la disparition de son cousin après avoir appris la nouvelle par l’une de ses cousines. « On se téléphonait tous les 15 jours », indique-t-il à JA.
Tous deux ont grandi dans les îles de la Basse Casamance. « Nés dans l’eau », comme le résume Moïse Badji, qui ne peut envisager le scénario d’une noyade. « Saint-Louis se trouve à 350 km de Dakar, résume-t-il, incrédule : jamais un corps n’aurait pu dériver jusque-là ! Par ailleurs, nous avions été informés qu’un jeune homme s’était noyé dans cette zone peu avant. »
À la morgue de l’hôpital Fann, à Dakar, Moïse Badji est tout de même venu inspecter la dépouille qui lui était présentée, accompagné par plusieurs de ses frères ainsi que par un avocat et par le Dr Dialo Diop. Les témoins, selon lui, se sont montrés unanimes : il ne s’agit pas du corps de Didier Badji, ont-ils conclu. Face à un corps ayant séjourné durablement dans l’océan, ils se sont basés sur la dentition du cadavre pour livrer ce verdict formel. Face à eux, indiquent Moïse Badji et l’un de ses avocats, les personnels de la morgue « étaient déjà prêts à l’inhumer ».
Et le cousin du gendarme disparu d’ajouter : « Il était inimaginable que son corps ait pu être repêché à Saint-Louis. C’était vraiment nous prendre pour des imbéciles que de nous présenter cette version ! »
Assassinats ?
Quand on lui demande quel scénario il privilégie pour expliquer la disparition de son « frère de sang », Moïse Badji n’en fait pas mystère : « Je pense qu’il a été assassiné. » Reste à savoir pour quel motif, et surtout par qui. Au cours des derniers jours, deux responsables politiques sénégalais, Ahmet Kamara et Bah Diakhaté, ont privilégié cette piste, sans toute fois l’étayer par des éléments probants.
Le boomerang leur est revenu aussitôt puisque les avocats de la famille Badji, Mes Koureyssi Ba, Ousseynou Gaye et Patrick Kabou, ont déposé contre eux, le 8 décembre, une plainte avec constitution de partie civile pour « atteinte à l’image, à la respectabilité, à l’honorabilité et au professionnalisme d’un agent de l’État » et pour « diffusion de fausses nouvelles ».
Les avocats, toutefois, n’ont pas, pour l’heure, déposé de plainte pour homicide, faute d’éléments probants, laissant le parquet « prendre ses responsabilités s’il estime que des indices plaident pour ce scénario », aux dires d’un des avocats concernés.
Au Sénégal, pendant ce temps, les spéculations vont bon train quant au motif qui aurait pu entraîner une éventuelle « liquidation » des deux hommes. Différentes versions, non étayées jusque-là, font en effet état du rôle qu’ils auraient pu jouer dans des fuites rendues publiques dans la presse au cours des dernières semaines.
Comment ces deux natifs de la Casamance, exerçant des missions sensibles au cœur des forces de sécurité sénégalaises, ont-ils pu se volatiliser ainsi ? Si une vague vigoureuse les avait emportés et que le courant ait entraîné leur mort par noyade, comment est-il possible que leurs effets personnels soient demeurés sagement posés sur les rochers, sur le site de leur disparition ? Le 29 novembre, Fulbert Sambou a été inhumé au cimetière Saint-Lazare, à Dakar. Sa famille n’avait pas été invitée à reconnaître le corps auparavant. Pour la famille de Didier Badji, en revanche, un fort scepticisme subsiste, lequel alimente désormais la controverse.
Scénario étrange
Le 5 décembre, un chalutier a en effet repêché au large de Saint-Louis un cadavre ayant durablement séjourné dans l’eau. La famille de Didier Badji est alors prévenue et dépêche une délégation à la morgue de l’hôpital Fann, à Dakar. Le cadavre est-il celui du disparu ? Le scénario peut sembler improbable puisque cela signifierait que son corps a dérivé tout au long des 350 km séparant le Cap Manuel de l’ancienne capitale coloniale, située à la frontière mauritanienne. Au regard des forts courants balayant la « Grande Côte », qui ne remontent pas du Sud vers le Nord, la probabilité est infime.
Pour reconnaître la dépouille, abimée après avoir séjourné en mer pendant plus de 15 jours, deux proches du disparu se rendent à la morgue. L’oncle et le frère du militaire, ainsi que l’avocat de la famille, Me Koureissi Ba, et le Dr Dialo Diop, mandaté par l’antenne sénégalaise d’Amnesty International pour épauler la famille.
Interrogé par Jeune Afrique, ce dernier est catégorique : « Son frère et son oncle ont affirmé qu’il ne pouvait s’agir de Didier Badji. En effet, selon eux, sa dentition ne laissait pas de place au doute. » Et Dialo Diop d’envisager que le corps d’un migrant noyé dans l’Atlantique ait pu être présenté à la famille en lieu et place du militaire disparu.
Bien que soucieux d’obtenir la vérité, le frère de l’intéressé décline toutefois la proposition qui lui est faite de procéder à une expertise ADN du corps, en comparant un échantillon du cadavre à un autre qui aurait pu être prélevé sur lui. Faute de moyens adéquats au Sénégal, cette expertise aurait été pratiquée en France, à l’Institut médico-légal du Quai de la Rapée, ce qui, manifestement, n’inspirait aucune confiance à l’entourage du disparu.
Nés dans l’eau
Ce 9 décembre, Moïse Badji n’a pu assister à la reconnaissance du corps de son « frère ». En réalité, il est son cousin germain, fils du frère de son père, mais les deux hommes, tous deux nés en 1965, entretenaient des liens privilégiés. C’est Moïse Badji, qui réside en Allemagne depuis 1993, qui a informé les journalistes sénégalais de la disparition de son cousin après avoir appris la nouvelle par l’une de ses cousines. « On se téléphonait tous les 15 jours », indique-t-il à JA.
Tous deux ont grandi dans les îles de la Basse Casamance. « Nés dans l’eau », comme le résume Moïse Badji, qui ne peut envisager le scénario d’une noyade. « Saint-Louis se trouve à 350 km de Dakar, résume-t-il, incrédule : jamais un corps n’aurait pu dériver jusque-là ! Par ailleurs, nous avions été informés qu’un jeune homme s’était noyé dans cette zone peu avant. »
À la morgue de l’hôpital Fann, à Dakar, Moïse Badji est tout de même venu inspecter la dépouille qui lui était présentée, accompagné par plusieurs de ses frères ainsi que par un avocat et par le Dr Dialo Diop. Les témoins, selon lui, se sont montrés unanimes : il ne s’agit pas du corps de Didier Badji, ont-ils conclu. Face à un corps ayant séjourné durablement dans l’océan, ils se sont basés sur la dentition du cadavre pour livrer ce verdict formel. Face à eux, indiquent Moïse Badji et l’un de ses avocats, les personnels de la morgue « étaient déjà prêts à l’inhumer ».
Et le cousin du gendarme disparu d’ajouter : « Il était inimaginable que son corps ait pu être repêché à Saint-Louis. C’était vraiment nous prendre pour des imbéciles que de nous présenter cette version ! »
Assassinats ?
Quand on lui demande quel scénario il privilégie pour expliquer la disparition de son « frère de sang », Moïse Badji n’en fait pas mystère : « Je pense qu’il a été assassiné. » Reste à savoir pour quel motif, et surtout par qui. Au cours des derniers jours, deux responsables politiques sénégalais, Ahmet Kamara et Bah Diakhaté, ont privilégié cette piste, sans toute fois l’étayer par des éléments probants.
Le boomerang leur est revenu aussitôt puisque les avocats de la famille Badji, Mes Koureyssi Ba, Ousseynou Gaye et Patrick Kabou, ont déposé contre eux, le 8 décembre, une plainte avec constitution de partie civile pour « atteinte à l’image, à la respectabilité, à l’honorabilité et au professionnalisme d’un agent de l’État » et pour « diffusion de fausses nouvelles ».
Les avocats, toutefois, n’ont pas, pour l’heure, déposé de plainte pour homicide, faute d’éléments probants, laissant le parquet « prendre ses responsabilités s’il estime que des indices plaident pour ce scénario », aux dires d’un des avocats concernés.
Au Sénégal, pendant ce temps, les spéculations vont bon train quant au motif qui aurait pu entraîner une éventuelle « liquidation » des deux hommes. Différentes versions, non étayées jusque-là, font en effet état du rôle qu’ils auraient pu jouer dans des fuites rendues publiques dans la presse au cours des dernières semaines.
