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Dior Fall Sow ancienne Procureure : "Le problème fondamental de notre justice..."

Mardi 29 Août 2023

Ancienne procureure de la République du Sénégal en 1976, Dior Fall Sow reste magistrat même si sa carrière riche et variée l’a mené partout. Invitée de l’émission «Pencum l’As» sur l'AsTv, l’ancienne conseillère juridique auprès du Tribunal Pénal International pour le Rwanda commente l’actualité politico-judiciaire de notre pays en mettant l’accent sur les règles éthiques et déontologiques qui régissent la profession de magistrat.




Les Sénégalais ont-ils raison de jeter de la sorte le discrédit sur la justice ?

Raison, je ne pense pas. Et quand on dit discrédit sur la justice, je pense que lorsqu’on est conscient du rôle de la justice qui est quand même une institution qui, au niveau du Sénégal est un pouvoir comme l'exécutif etle législatif ; si on est aussi conscient du rôle que la justice joue dans un pays parce que je dis souvent qu'elle représente la colonne vertébrale d'un pays et que si elle s'effondre, c'est le pays qui s'effondre aussi et dans ce cas, c’est l'anarchie qui s'installe ; donc je pense que connaissant la justice, on ne peut pas la discréditer. Par contre, il est possible effectivement qu'on ne joue pas, en tout cas pour certains chargés de rendre la justice, leur rôle comme il faudrait ; à ce moment-là, il y a un problème. Et c'est à ce moment-là qu'on peut dire que les gens décrédibilisent la justice

Y a-t-il une responsabilité des acteurs ?

Quand vous parlez d'acteurs, vous parlez sûrement des magistrats. Tout à fait parce que quand je dis que certains ne jouent pas leur rôle, je ne fais pas la politique de l'autruche, je ne dis pas que tout est bon dans le meilleur des mondes. Il faut reconnaître comme partout ailleurs que nous avons des magistrats au sein de notre corps qui sont conscients du rôle important qu'ils ont à jouer, qui sont conscients de leurs responsabilités et qui font leur travail avec beaucoup de conscience en suivant nos règles de déontologie et en suivant aussi leur serment. Et c'est ce serment-là qui doit être en bandoulière chez nous et pendant tout l'exercice de notre fonction. Il y a par contre, comme partout ailleurs, des brebis égarées qui ne font pas toujours le travail comme il se devrait et qu'on doit faire revenir. A ce moment-là, c'est vrai qu’il y a une responsabilité qui incombe à certains jeunes, à certains magistrats qui ne font pas le travail selon les règles que leur dicte leur déontologie. Pour ce faire, il faut une prise de conscience et laver le linge sale en famille. Ce faisant, nous pouvons amener certaines personnes et leur montrer que le travail que nous faisons est tellement important qu'on ne peut pas se permettre de commettre des erreurs.

Est-ce que dans cette affaire Juan Branco, le droit a été dit ?

On a un Etat qui se dit être un Etat de droit. Et si l'Etat estime qu'il a été outragé par un avocat, c'est à lui de prendre ses responsabilités. Maintenant il y a eu tout un ramdam dans cette affaire. Il lui a d'abord été interdit de venir défendre son client, ce qui est quand même un problème. Maintenant ils ont donné des raisons : qu'il avait outragé le président de la République, ce qui est leur droit. À sa dernière venue, il y a eu l'ouverture d’une enquête judiciaire. Maintenant je me demande comment il a pu passer, avec toutes les conventions entre les États, par la Gambie. La décision a été prise mais je me pose des questions. Malgré cette levée de boucliers, les recherches qui ont été faites, on a pu l'envoyer devant le juge d'instruction, l'inculper et le mettre sous contrôle judiciaire pour enfin l'exiler. C'est une situation un peu surprenante parce que quand on est sous contrôle judiciaire, on reste dans le pays, le passeport confisqué. Alors que dans son cas, Juan Branco circule en toute liberté parce qu'il n’y a pas longtemps, il était au niveau de Genève. C'est un problème parce que les chefs d’inculpation sont importants, ce sont des crimes pratiquement commis. Je me pose la question : pourquoi ce ressortissant français alors que de nombreux détenus qui ont les mêmes inculpations que lui et qui sont donc passibles de passer devant la chambre criminelle, ne bénéficient pas de ce même contrôle judiciaire ?

Pensez-vous que notre pays a cédé à la pression étrangère ?

Moi je pense qu’il y a eu une levée de boucliers de la part du bâtonnat français, de la part de certaines associations françaises aussi. Maintenant je ne peux pas affirmer que cela a conduit à sa libération. Par contre, je sais que la France ne protège pas mal ses ressortissants. Toutefois lorsqu'on est convaincu qu'une personne se comporte de façon à mettre en cause la sécurité d'un pays, est ce que ces pressions justifieraient certaines mesures ?

La France a-t-elle ce droit d’ingérence dans notre pays ?

Aucun pays n'a le droit d'ingérence sur la souveraineté d'un autre pays.Je pars du principe que si la personne accepte une ingérence quelconque, l'ingérence, il ne faut pas l'accepter et il y a des moyens de mettre les gens à leur place en leur disant ; cela ne vous garde pas. Maintenant si on considère qu'il y a une ingérence et qu'il n’y a pas eu de réactions, moi je poserai la question : à qui la faute?

L’autre constat, ce sont les sorties notées dernièrement des magistrats. Pourquoi le parquet est-il devenu aussi bavard ?

Nous avons l'article 9 de notre statut qui rappelle les qualités d'un digne et loyal magistrat et qui nous dit comment prendre conscience du rôle qui nous est dévolu, qui nous parle du devoir de réserve à savoir : ne pas commenter publiquement certaines décisions de justice ou certaines affaires lorsqu'elles sont en instruction, parce que le secret de l'instruction est un principe judiciaire et il est important de s'y conformer. Personnellement je ne comprends pas. Parce que le fait de se présenter tout le temps pour discuter, c'est un problème pour un magistrat. Moi j'ai été Procureure de la République pendant 8 ans et lorsque je prends une décision en mon âme et conscience, personne ne peut faire de sorte que je vienne me justifier. Parce qu’ on n’a pas à se justifier, etje ne peux en rendre compte qu'à mon supérieur hiérarchique qui se trouve être le procureur général ; et même lui, s'il ne me demande pas, je ne lui dis pas. Parce qu’il délègue un pouvoir que nous exerçons et vraiment lorsque je prends une décision, je le fais en mon âme et conscience et je n'ai pas de compte à rendre. Le problème fondamental de notre justice, c'est que le Procureur peut informer mais il faut savoir sur quoi informer, quand informer, pourquoi le faire. Mais quand on donne des informations sur certaines décisions, même la fonction est affaiblie. Parce qu’il y avait des périodes où le Magistrat était quelqu'un "d’inaccessible", les gens n'avaient pas besoin de les l'interpeller à tort ou à raison. Parce que quand même nous, à notre époque, on avait tellement le sens de la profession sans pour autant nous prendre pour des demi-dieux. Il y avait par rapport à la population un certain respect qui était réciproque. Et c'était rare de voir les gens interpeller un magistrat. Il est arrivé quelquefois que le procureur se prononce sur certains dossiers, mais ce n'était pas de la même façon, c'était vraiment pour préciser certains points qui étaient nécessaires mais pas des justifications. Un magistrat, il doit savoir ce qu'il fait parce que les conséquences sont tellement graves que lorsque vous prenez une décision qui ne suit pas les normes de la procédure, cela pose problème.

Justement dans cette affaire, on parle de politisation du dossier. Pour avoir occupé cette fonction, pensez-vous que notre justice est indépendante ?

Si elle ne l'est pas, elle devrait l'être. La justice est indépendante parce que cette indépendance est d'abord constitutionnelle. L'article 88 de la constitution parle déjà de séparation des pouvoirs. Et dans cet article, il est clairement dit que la justice est indépendante du législatif et de l'exécutif. Cela veut dire que cette indépendance est constitutionnelle mais ce n'est pas parce qu'elle est constitutionnelle qu'elle va de soi. Il faut que les acteurs aient cet esprit d'indépendance. La justice ne sera indépendante que si cet esprit est dans tous les magistrats. Chacun des magistrats doit être imbu de cette indépendance mais quelqu'un qui ne veut pas être indépendant, vous ne pouvez pas le forcer, mais je crois que c'est une nécessité. Parce que l'État n'est pas garant de l'indépendance de la justice, c'est la constitution qui dit que la justice est indépendante. Maintenant, l'État doit mettre en place un environnement favorable à la mise en œuvre de cette indépendance. On se rend compte qu’il y a beaucoup de choses qui se passent et qui font que c'est difficile de pouvoir évaluer dans un environnement qui n'est pas favorable.

Cela est-il facile avec le président de la République qui préside le conseil supérieur de la magistrature ?

Depuis que je suis dans la magistrature en 1971, je me bats contre ça. Je me dis que le président de la République ne doit pas être au niveau du conseil supérieur de la magistrature et le ministre de la justice. Je le dis, je le répète ; j’ai même écrit un livre sur ça. Nous sommes un pouvoir et pour cela, il faut nous laisser exercer notre pouvoir. Nous, on ne s'immisce pas dans les affaires de l'Exécutif ni dans les affaires de l'Assemblée. Pour être taquine un peu, est-ce qu'on peut permettre au premier magistrat d'assister au conseil des ministres et de donner son avis ? Je pense que la séparation des pouvoirs est quelque chose d’extrêmement importante et si on ne la respecte pas, on a de sérieux problèmes. Vous savez, nous sommes un pouvoir et nous devons avoir la possibilité de l'exercer entièrement. Et quand on parle d'indépendance, j'aime bien relever qu'elle s'applique à tout le monde aussi bien au magistrat du siège qu'aux magistrats du parquet. Moi quand j'étais Procureure de la République, je n'avais qu'un chef hiérarchique, c'était le Procureur Général. Et je me référais à l'article 7 de notre statut qui dit que les Magistrats dépendent de la direction et du contrôle de leur supérieur hiérarchique et du contrôle du ministère de la Justice. Moi j'avais interprété cet article 7 en disant que ça s'arrêtait sous la direction et le contrôle de son supérieur hiérarchique, le reste, ce n'était pas mon problème ; ça regardait peut-être mon supérieur hiérarchique qui était sous l'autorité du ministère. Et il y a plusieurs cas où on m'a saisie mais j'ai dit non.

Donc un procureur peut dire non quand il le faut ?

Eh bien ! Oui. L'article 91 dit que la justice est gardienne des droits et libertés qui sont garanties par la constitution et nous devons l'assumer. Et en l’assumant, nous devons être indépendant et quelles que soient les pressions, de quelque nature qu'elles soient, qu'elles soient de l'exécutif, du législatif, familial, religieux, nous ne devons pas fléchir. La seule chose qui peut faire pression sur nous, c'est la loi.

Que pensez-vous de la démocratie sénégalaise ?

On ne peut pas parler de démocratie s'il n’y a pas d'égalité de tous les citoyens. Vous ne pouvez pas vous dire démocrate si tous les gens ne sont pas à un certain niveau d'égalité, si les gens ne participent pas de la même façon à la gestion de leur cité. La démocratie se perfectionne, elle s'entretient et elle se nourrit. Ce qui me choque en ce moment-là, c'est que le Sénégal a été un pays phare au niveau de la sous-région. Du point de vue de la démocratie, on n’a eu aucun problème. Il y avait cette liberté d'expression, d'aller et de venir, c'était un exemple. Mais aujourd'hui, on est en train de rentrer dans un certain lot. Cependant, je pense qu’on n’est pas encore dans le mur mais on s'en approche de plus en plus, etil est temps de nous ressaisir sinon, je crois c'est dommage et le Sénégal ne le mérite pas.

Et qu'est-ce qui explique ce recul démocratique?

Nous avons laissé faire beaucoup de choses. Il y a eu beaucoup de mutations dans la société et beaucoup de valeurs ont disparu. Parce qu'un pays aussi, c'est des valeurs. Je prends l'exemple des notions de « jom», de la parole donnée, du «kersà» de «suturà», de l’entraide. Mais j'ai l'impression que de plus en plus, on est en train de les perdre. Quand je vois des personnes insulter à la télé ou dans les réseaux sociaux, des adultes se dédire, je me dis : mais quel exemple pour notre jeunesse ? Ce n'est pas comme cela qu'on bâtit une société. Il faut qu'on ait le courage de nous arrêter et de voir ce que nous devons faire. Il faut souvent regarder dans le rétroviseur et revoir l'éducation de nos jeunes. Parce que quand on perd nos valeurs, c'est comme si on a tout perdu. Et quand on vous inculque certaines valeurs, c'est comme si on vous trace une certaine limite que vous ne franchirez jamais. Mais maintenant regardez ce qui se passe dans l'éducation ! Les jeunes ne respectent plus leurs enseignants, ils dégradent leurs temples du savoir. Pour certaines choses, il faut faire table rase et repartir à zéro car on ne fait pas du neuf avec des choses usées.

Quelle est selon vous la pertinence de ce bracelet électronique ?

Vous soulevez une question importante. Il s’agit de mesure salutaire qui participe à désengorger les prisons. Mon travail de procureure m'amenait à visiter régulièrement les prisons et je vous assure que ce sont des lieux qui ne sont pas du tout agréables. Il y a une surpopulation et une promiscuité très graves. Il faut vivre dans ce lieu-là pour le connaître, pour le connaître parce qu'on ne montre pas tout. Mais ici le problème, c'est que c'est juste un petit nombre qui en bénéficie et de l'autre côté, on remplit les prisons. Il y a une surpopulation carcérale incroyable.
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