Ziguinchor n’est pas en déficit de citoyenneté : Bougar Diouf est en déficit de rigueur (Par Ndeye Ndiaye Atlanta)

Jeudi 25 Décembre 2025

Il arrive un moment où le silence devient une faute. Lorsque, sous couvert de défense de la République, certains s’arrogent le droit de juger, stigmatiser et infantiliser des populations entières, il devient impératif de répondre. Le texte de Monsieur Bougar Diouf, pompeusement intitulé « Ziguinchor : Quand le déficit de citoyenneté dépasse l’ordinaire ! », appartient à cette catégorie d’écrits qui parlent fort, mais pensent peu.


Car derrière une rhétorique institutionnelle savamment emballée se cache une réalité beaucoup plus inquiétante : une méconnaissance abyssale du terrain, une lecture biaisée des faits et une conception autoritaire de la citoyenneté.

I. Une accusation grave, lancée sans preuves
Accuser une ville entière  Ziguinchor d’un « déficit de citoyenneté » n’est pas anodin. C’est une mise en accusation collective, lourde de sens et de conséquences. Or, dans tout son texte, Bougar Diouf n’apporte aucun fait concret, aucun élément vérifiable, aucune donnée sérieuse permettant d’étayer une telle charge.


De quoi parle-t-on exactement ? D’une absence de bain de foule ?  D’un accueil non scénarisé ?  D’un respect strict d’un dispositif sécuritaire imposé d’en haut ?
Depuis quand la citoyenneté se mesure-t-elle au volume des applaudissements ou à la densité des attroupements humains ?

II. Une comparaison malhonnête entre visites internationales et visite nationale.
Comparer l’accueil réservé au Président de la République lors de visites officielles à l’étranger, préparées, médiatisées, protocolaires, avec une visite intérieure volontairement discrète, sans feuille de route publique, sans annonce préalable, sans appel à mobilisation, relève soit de la paresse intellectuelle, soit de la manipulation consciente.


À Ziguinchor: aucune communication officielle n’a précédé la visite; chaque étape a été connue le jour même, par des interlocuteurs ciblés ; un dispositif sécuritaire inédit, jamais vu par les Ziguinchorois, a été déployé, donnant le sentiment clair d’un Président souhaitant s’isoler.Dans ce contexte, reprocher aux populations de ne pas s’être mobilisées relève de l’absurde. La citoyenneté ne consiste pas à traquer un convoi présidentiel comme un essaim d’abeilles.

III. Une lecture profondément méprisante de la Casamance
Le texte de Bougar Diouf transpire une vieille tentation sénégalaise : celle de parler de la Casamance comme d’un espace à part, suspect, à surveiller, à corriger, à rééduquer. Quand il écrit qu’il faut renforcer « surtout » l’éducation civique à Ziguinchor, il ne fait pas que glisser une maladresse : il stigmatise. Il désigne une région comme déficitaire moralement et républicainement, sans jamais interroger le rôle de l’État central, des politiques publiques ou de l’histoire nationale dans les fractures existantes. La Casamance n’est pas un désert civique. Elle est l’une des régions les plus politiquement conscientes du Sénégal. Elle sait ce qu’est l’État parfois dans sa version la plus brutale.

IV. Une instrumentalisation grossière de la hiérarchie institutionnelle
Bougar Diouf tente ensuite un raisonnement dangereux: opposer la légitimité constitutionnelle du Président à la popularité politique du Premier ministre Ousmane Sonko, comme si les deux étaient incompatibles. C’est faux. C’est juridiquement faux. C’est politiquement malhonnête.
La Constitution sénégalaise n’interdit pas la coexistence de figures politiques fortes. Elle organise leurs rôles. Reconnaître l’ancrage populaire de Sonko, notamment en Casamance, ne remet nullement en cause l’autorité du Président Bassirou Diomaye Faye. Ce raisonnement trahit surtout une angoisse politique mal dissimulée: la peur d’un peuple qui continue de penser par lui-même, au lieu d’adhérer mécaniquement à une lecture verticale du pouvoir.

V. Une conception autoritaire et disciplinaire de la citoyenneté
Dans le texte de Bougar Diouf, la citoyenneté semble se résumer à trois choses :
obéir, applaudir, se conformer. Or, dans une démocratie digne de ce nom, la citoyenneté est aussi :
discernement, distance critique et respect sans soumission.


Les Ziguinchorois n’ont ni hué le Président, ni manifesté contre lui, ni saboté sa visite. Ils ont respecté un format imposé, un choix présidentiel assumé. Depuis quand le respect devient-il une faute civique ?


VI. Une vision dangereuse de l’unité nationale
En prétendant défendre l’unité nationale, Bougar Diouf fait exactement l’inverse. Il nourrit :
la suspicion territoriale, la fracture symbolique, le sentiment d’injustice mémorielle. L’unité nationale ne se décrète pas depuis une tribune. Elle se construit par la compréhension des réalités locales, par l’humilité intellectuelle et par le refus des procès collectifs.

Ziguinchor n’a pas failli, Bougar Diouf oui
Ziguinchor n’a pas manqué à la République. Ziguinchor n’a pas défié l’État. Ziguinchor n’a pas refusé le Président. Ziguinchor a fait preuve de maturité, de retenue et de respect, là où certains commentateurs ont cédé à la facilité du jugement. S’il y a un déficit à pointer aujourd’hui, ce n’est pas celui de la citoyenneté en Casamance. C’est celui de la rigueur intellectuelle, de la connaissance du terrain et de la responsabilité dans la prise de parole publique. La République n’a pas besoin de procureurs improvisés. Elle a besoin de voix lucides, enracinées et honnêtes. Et la Casamance mérite mieux que des leçons venues d’ailleurs.

Mme Ndeye Ndiaye Atlanta 
Ex-conseillère municipale à Ziguinchor 
Présidente Association pour le développement de la Casamance (ADC)
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