La deuxième visite du président français en Afrique du Sud, à l’occasion du G20, visait à approfondir les « excellentes relations » entre Paris et Pretoria. Des relations débarrassées d’une suspicion de Françafrique.
S’il y a des zones rouges où la France n’est plus la bienvenue, il existe également des zones roses, où elle est accueillie à bras ouverts, avec amitié, voire avec une profonde affection, comme en Afrique du Sud. Le 21 novembre, Gayton McKenzie, le ministre sud-africain des Sports, des Arts et de la Culture, a salué l’arrivée du « muched loved » (très apprécié) Emmanuel Macron lors d’une cérémonie. Les deux hommes ont plaisanté en disant voir le rugby comme unique point d’achoppement entre leurs deux pays.
« Une joie de se rencontrer »
L’entente plus que cordiale entre Paris et Pretoria tient en partie à la bonne relation qu’entretiennent les présidents Cyril Ramaphosa et Emmanuel Macron. Ils ont noué une « relation d’amitié, d’estime, une relation très proche », dit-on à l’Élysée. Côté sud-africain, cette relation est qualifiée d’« extrêmement positive et chaleureuse ». Les deux chef d’État « s’appellent souvent, et c’est toujours une joie pour le président Ramaphosa de rencontrer le président Macron », confie à Jeune Afrique Vincent Magwenya, le porte-parole de la présidence sud-africaine.
Ils ont eu un entretien bilatéral de 45 minutes le 21 novembre avant de participer au G20, où ils se sont salués chaleureusement à l’ouverture du sommet. « Nos deux nations sont unies par des valeurs partagées de liberté et de justice que notre partenariat unique permet encore d’approfondir », a commenté Emmanuel Macron sur son profil X.
Cette proximité tient en partie à la personnalité de Cyril Ramaphosa, plutôt « bonne pâte », beaucoup moins radical que d’autres figures du paysage politique sud-africain, comme l’ancien président Jacob Zuma, qui rendait récemment visite au capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso, ou Julius Malema, qui avait organisé une manifestation contre la présence française en Afrique devant l’ambassade à Pretoria, en mai 2022.
Alignement diplomatique
Cette bonne entente a permis au président Macron de convaincre son homologue de participer à la dernière assemblée générale des Nations unies pour assister à la reconnaissance de l’État de Palestine, une initiative partagée par la France et l’Arabie saoudite. L’Afrique du Sud est un soutien historique de la cause palestinienne.
Sur ce point, Paris ne partage pas les accusations de génocide à Gaza alors que Pretoria a porté plainte pour ce motif devant la Cour internationale de justice. « Accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral, on ne peut exploiter la notion de génocide à des fins politiques », dénonçait Stéphane Séjourné, ancien ministre des Affaires étrangères, devant l’Assemblée nationale le 17 janvier 2024. Sur l’Ukraine, l’Afrique du Sud se contente d’appeler à la paix sans condamner l’invasion russe alors qu’Emmanuel Macron défend sa souveraineté.
Ces divergences de vue n’entachent pas les relations entre les deux pays. Lors d’une précédente visite, en 2021, Emmanuel Macron avait apporté son soutien à l’Afrique du Sud pour améliorer l’accès aux vaccins sur le continent en pleine crise du Covid-19. « De manière diplomatique, on est souvent alignés dans les forums multilatéraux et, depuis qu’on a la présidence du G20, la France a apporté son soutien aux priorités de l’Afrique du Sud », explique Vincent Magwenya. »La France, qui assumera la présidence du G7 en 2026, se tient aux côtés de la présidence sud-africaine pour porter la voix d’un multilatéralisme efficace, au service de tous, et faisant prévaloir la force du droit international », a promis Emmanuel Macron sur X.
Une relation modèle ?
« La relation France-Afrique du Sud répond, à mon avis, à ce que devrait être la relation de la France avec tous les gouvernements africains », avance le politologue camerounais Achille Mbembe. « Elle répond au principe de la juste distance. La France ne se mêle pas des questions internes de l’État sud-africain tout en entretenant des relations très fortes, qui, sous l’apartheid étaient ce que l’on savait. La France a su négocier la transition de la fin de l’apartheid et l’arrivée au pouvoir de la majorité noire », poursuit l’historien à la tête de la Fondation de l’innovation pour la démocratie, association indépendante basée à Johannesburg mais propulsée par la France en 2022.
Sous François Mitterrand, la France a entretenu une relation ambiguë avec le régime d’apartheid, à qui elle a vendu des armes en violation de l’embargo, selon les révélations de l’ONG Open Secret. La droite française s’est également montrée favorable au régime d’apartheid, à l’image de l’ancien maire de Nice, Jacques Médecin, qui jumelait sa ville avec Le Cap en 1974 et défendait la ségrégation.
L’assassinat de la militante anti-apartheid sud-africaine Dulcie September, en 1988 en plein Paris, n’a toujours pas été élucidé et le soupçon d’une collaboration française plane toujours sur ce dossier bien qu’il ait été refermé par la justice. Mais la France n’en pâtit pas et Pretoria n’en fait pas un point de discorde alors qu’elle peine à enquêter sur les crimes du passé.
« Nous n’oublions pas la nécessité que vérité et justice se fassent », a déclaré Emmanuel Macron après avoir évoqué les noms de Dulcie September et de Marcel Trignon, le maire d’Arcueil qui avait accueilli l’exilée sud-africaine. Dans une logique mémorielle chère au président Macron, quinze personnalités françaises qui ont lutté contre le régime d’apartheid ont été honorées au Freedom Park de Pretoria, où leurs noms ont été gravés sur la façade du bâtiment. Parmi eux figurent le philosophe Paul Ricœur, dont Emmanuel Macron fut l’assistant éditorial entre 1999 et 2020.
Les entreprises se pressent en Afrique du Sud
Ces bonnes relations diplomatiques encouragent le développement des échanges commerciaux entre les deux pays. Emmanuel Macron, accompagné du vice-président, Paul Mashatile, ont lancé un Conseil d’affaires, sur le modèle de ce qui existe déjà avec le Nigeria. Concrétisation d’une idée émise lors du premier forum d’affaires, qui s’était tenu à Paris du 21 au 23 mai avec Paul Mashatile et une importante délégation de ministres et d’hommes d’affaires. Le nouveau Conseil d’affaires rassemble huit grands groupes de chaque pays comme Nasper, Sibaniye-Stillwater, ou Aspen côté sud-africain, et CMA-CGM, la RATP, ou Canal+ côté sud-africain.
Maxime Saada, le président du directoire de Canal+, s’est d’ailleurs rendu à Johannesburg vendredi pour être nommé coprésident de ce Conseil d’affaires aux côtés de la sud-africaine Gloria Serobe, la patronne du fond d’investissement Wiphold. La nomination de Maxime Saada, un très bon ami de l’ambassadeur David Martinon – rencontré à SciencesPo Paris –, renforce encore Canal+ en Afrique du Sud après son rachat du géant des médias MultiChoice pour 2,5 milliards d’euros, soit le plus gros investissement étranger en Afrique du Sud depuis plusieurs années. D’autres entreprises françaises veulent accroître leurs activités dans le pays, comme l’armateur CMA-CGM, Alstom pour la production de train, Suez ou Sanofi.
Un régime politique plus favorable
L’Afrique du Sud a connu un changement de régime politique en 2024 qui semble lui profiter. Le Congrès national africain (ANC), au pouvoir depuis 1994, a été contraint de former une grande coalition, notamment avec l’Alliance démocratique (DA), deuxième plus grand parti du pays à la ligne pro-business. La cohabitation de ces deux partis idéologiquement opposés produit curieusement des effets positifs.
« Ils se complètent ou essayent de mieux faire pour montrer à l’autre qu’ils sont capables », observe Sébastien de Place, associé chez Forvis Mazars et directeur de la Chambre de commerce et d’industrie française en Afrique du Sud. « Depuis juillet, on n’a jamais vu autant de délégations de différentes Chambres de commerce et de potentiels investisseurs qui s’intéressent à l’Afrique du Sud », ajoute-t-il.
La France, et plus généralement les Européens, peuvent espérer tirer profit de l’agressivité diplomatique et commerciale des États-Unis, qui imposent 30 % de tarifs douaniers à l’Afrique du Sud et qui ont suspendu l’accord de libre échange Agoa. Les doux mots que s’échangent les présidents français et sud-africain contrastent avec la violence verbale de l’administration américaine, dont la porte-parole accusait récemment Cyril Ramaphosa de « déblatérer » contre le président Trump.
Jeune Afrique
S’il y a des zones rouges où la France n’est plus la bienvenue, il existe également des zones roses, où elle est accueillie à bras ouverts, avec amitié, voire avec une profonde affection, comme en Afrique du Sud. Le 21 novembre, Gayton McKenzie, le ministre sud-africain des Sports, des Arts et de la Culture, a salué l’arrivée du « muched loved » (très apprécié) Emmanuel Macron lors d’une cérémonie. Les deux hommes ont plaisanté en disant voir le rugby comme unique point d’achoppement entre leurs deux pays.
« Une joie de se rencontrer »
L’entente plus que cordiale entre Paris et Pretoria tient en partie à la bonne relation qu’entretiennent les présidents Cyril Ramaphosa et Emmanuel Macron. Ils ont noué une « relation d’amitié, d’estime, une relation très proche », dit-on à l’Élysée. Côté sud-africain, cette relation est qualifiée d’« extrêmement positive et chaleureuse ». Les deux chef d’État « s’appellent souvent, et c’est toujours une joie pour le président Ramaphosa de rencontrer le président Macron », confie à Jeune Afrique Vincent Magwenya, le porte-parole de la présidence sud-africaine.
Ils ont eu un entretien bilatéral de 45 minutes le 21 novembre avant de participer au G20, où ils se sont salués chaleureusement à l’ouverture du sommet. « Nos deux nations sont unies par des valeurs partagées de liberté et de justice que notre partenariat unique permet encore d’approfondir », a commenté Emmanuel Macron sur son profil X.
Cette proximité tient en partie à la personnalité de Cyril Ramaphosa, plutôt « bonne pâte », beaucoup moins radical que d’autres figures du paysage politique sud-africain, comme l’ancien président Jacob Zuma, qui rendait récemment visite au capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso, ou Julius Malema, qui avait organisé une manifestation contre la présence française en Afrique devant l’ambassade à Pretoria, en mai 2022.
Alignement diplomatique
Cette bonne entente a permis au président Macron de convaincre son homologue de participer à la dernière assemblée générale des Nations unies pour assister à la reconnaissance de l’État de Palestine, une initiative partagée par la France et l’Arabie saoudite. L’Afrique du Sud est un soutien historique de la cause palestinienne.
Sur ce point, Paris ne partage pas les accusations de génocide à Gaza alors que Pretoria a porté plainte pour ce motif devant la Cour internationale de justice. « Accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral, on ne peut exploiter la notion de génocide à des fins politiques », dénonçait Stéphane Séjourné, ancien ministre des Affaires étrangères, devant l’Assemblée nationale le 17 janvier 2024. Sur l’Ukraine, l’Afrique du Sud se contente d’appeler à la paix sans condamner l’invasion russe alors qu’Emmanuel Macron défend sa souveraineté.
Ces divergences de vue n’entachent pas les relations entre les deux pays. Lors d’une précédente visite, en 2021, Emmanuel Macron avait apporté son soutien à l’Afrique du Sud pour améliorer l’accès aux vaccins sur le continent en pleine crise du Covid-19. « De manière diplomatique, on est souvent alignés dans les forums multilatéraux et, depuis qu’on a la présidence du G20, la France a apporté son soutien aux priorités de l’Afrique du Sud », explique Vincent Magwenya. »La France, qui assumera la présidence du G7 en 2026, se tient aux côtés de la présidence sud-africaine pour porter la voix d’un multilatéralisme efficace, au service de tous, et faisant prévaloir la force du droit international », a promis Emmanuel Macron sur X.
Une relation modèle ?
« La relation France-Afrique du Sud répond, à mon avis, à ce que devrait être la relation de la France avec tous les gouvernements africains », avance le politologue camerounais Achille Mbembe. « Elle répond au principe de la juste distance. La France ne se mêle pas des questions internes de l’État sud-africain tout en entretenant des relations très fortes, qui, sous l’apartheid étaient ce que l’on savait. La France a su négocier la transition de la fin de l’apartheid et l’arrivée au pouvoir de la majorité noire », poursuit l’historien à la tête de la Fondation de l’innovation pour la démocratie, association indépendante basée à Johannesburg mais propulsée par la France en 2022.
Sous François Mitterrand, la France a entretenu une relation ambiguë avec le régime d’apartheid, à qui elle a vendu des armes en violation de l’embargo, selon les révélations de l’ONG Open Secret. La droite française s’est également montrée favorable au régime d’apartheid, à l’image de l’ancien maire de Nice, Jacques Médecin, qui jumelait sa ville avec Le Cap en 1974 et défendait la ségrégation.
L’assassinat de la militante anti-apartheid sud-africaine Dulcie September, en 1988 en plein Paris, n’a toujours pas été élucidé et le soupçon d’une collaboration française plane toujours sur ce dossier bien qu’il ait été refermé par la justice. Mais la France n’en pâtit pas et Pretoria n’en fait pas un point de discorde alors qu’elle peine à enquêter sur les crimes du passé.
« Nous n’oublions pas la nécessité que vérité et justice se fassent », a déclaré Emmanuel Macron après avoir évoqué les noms de Dulcie September et de Marcel Trignon, le maire d’Arcueil qui avait accueilli l’exilée sud-africaine. Dans une logique mémorielle chère au président Macron, quinze personnalités françaises qui ont lutté contre le régime d’apartheid ont été honorées au Freedom Park de Pretoria, où leurs noms ont été gravés sur la façade du bâtiment. Parmi eux figurent le philosophe Paul Ricœur, dont Emmanuel Macron fut l’assistant éditorial entre 1999 et 2020.
Les entreprises se pressent en Afrique du Sud
Ces bonnes relations diplomatiques encouragent le développement des échanges commerciaux entre les deux pays. Emmanuel Macron, accompagné du vice-président, Paul Mashatile, ont lancé un Conseil d’affaires, sur le modèle de ce qui existe déjà avec le Nigeria. Concrétisation d’une idée émise lors du premier forum d’affaires, qui s’était tenu à Paris du 21 au 23 mai avec Paul Mashatile et une importante délégation de ministres et d’hommes d’affaires. Le nouveau Conseil d’affaires rassemble huit grands groupes de chaque pays comme Nasper, Sibaniye-Stillwater, ou Aspen côté sud-africain, et CMA-CGM, la RATP, ou Canal+ côté sud-africain.
Maxime Saada, le président du directoire de Canal+, s’est d’ailleurs rendu à Johannesburg vendredi pour être nommé coprésident de ce Conseil d’affaires aux côtés de la sud-africaine Gloria Serobe, la patronne du fond d’investissement Wiphold. La nomination de Maxime Saada, un très bon ami de l’ambassadeur David Martinon – rencontré à SciencesPo Paris –, renforce encore Canal+ en Afrique du Sud après son rachat du géant des médias MultiChoice pour 2,5 milliards d’euros, soit le plus gros investissement étranger en Afrique du Sud depuis plusieurs années. D’autres entreprises françaises veulent accroître leurs activités dans le pays, comme l’armateur CMA-CGM, Alstom pour la production de train, Suez ou Sanofi.
Un régime politique plus favorable
L’Afrique du Sud a connu un changement de régime politique en 2024 qui semble lui profiter. Le Congrès national africain (ANC), au pouvoir depuis 1994, a été contraint de former une grande coalition, notamment avec l’Alliance démocratique (DA), deuxième plus grand parti du pays à la ligne pro-business. La cohabitation de ces deux partis idéologiquement opposés produit curieusement des effets positifs.
« Ils se complètent ou essayent de mieux faire pour montrer à l’autre qu’ils sont capables », observe Sébastien de Place, associé chez Forvis Mazars et directeur de la Chambre de commerce et d’industrie française en Afrique du Sud. « Depuis juillet, on n’a jamais vu autant de délégations de différentes Chambres de commerce et de potentiels investisseurs qui s’intéressent à l’Afrique du Sud », ajoute-t-il.
La France, et plus généralement les Européens, peuvent espérer tirer profit de l’agressivité diplomatique et commerciale des États-Unis, qui imposent 30 % de tarifs douaniers à l’Afrique du Sud et qui ont suspendu l’accord de libre échange Agoa. Les doux mots que s’échangent les présidents français et sud-africain contrastent avec la violence verbale de l’administration américaine, dont la porte-parole accusait récemment Cyril Ramaphosa de « déblatérer » contre le président Trump.
Jeune Afrique