Alors que la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda ont signé, la semaine dernière à Washington, un accord de paix censé ouvrir une nouvelle phase de désescalade, la situation sécuritaire se dégrade de nouveau dans l’est du territoire congolais. Le groupe armé AFC/M23, soutenu par Kigali selon plusieurs sources onusiennes et diplomatiques, a repris ses offensives et investi la ville d’Uvira, ravivant les craintes d’un embrasement durable dans la région.
Cette intensification des combats s’accompagne d’un autre phénomène préoccupant : une recrudescence de la désinformation sur les réseaux sociaux. Dans ce climat de forte tension régionale, une vidéo attribuée au capitaine burkinabè Ibrahim Traoré est devenue virale ces dernières heures, alimentant les polémiques et les spéculations géopolitiques.
Dans ce clip de plus de cinq minutes, largement partagé sur plusieurs plateformes, on croit voir le chef de l’État burkinabè, béret rouge sur la tête, tenir un discours virulent à l’encontre du président rwandais Paul Kagame, l’accusant implicitement de jouer un rôle dans la tragédie qui frappe l’est de la RDC. Les comptes à l’origine de cette diffusion affirment qu’Ibrahim Traoré serait « en colère » contre son homologue rwandais pour son implication supposée dans la guerre au Nord-Kivu et au Sud-Kivu.
Mais cette séquence est totalement fausse. Après vérification, aucune trace de ce discours n’existe sur les canaux officiels de communication des autorités burkinabè. Il s’agit d’un deepfake, c’est-à-dire d’un hypertrucage généré par intelligence artificielle, combinant manipulation de l’image et du son pour faire dire à une personnalité publique des propos qu’elle n’a jamais tenus.
L’analyse attentive de la vidéo révèle plusieurs incohérences techniques : un décalage visible entre le mouvement des lèvres et la voix, des clignements d’yeux peu naturels, ainsi qu’un individu placé derrière Ibrahim Traoré qui reste parfaitement immobile durant toute la séquence. Plus révélateur encore, l’une des mains du chef de l’État burkinabè semble comporter six doigts, une erreur fréquente dans les productions d’intelligence artificielle de qualité moyenne, difficilement perceptible sur un écran de téléphone portable.
Ce n’est pas la première fois que l’image d’Ibrahim Traoré est utilisée à des fins de manipulation numérique. En octobre dernier, une autre vidéo truquée le montrait prétendument critiquant le président camerounais Paul Biya, dans un contexte électoral sensible. Là encore, l’information s’était révélée totalement infondée.
Une recherche par image inversée permet de remonter à l’origine de cette nouvelle vidéo. Le premier diffuseur identifié est une chaîne YouTube intitulée Rêves Africains, spécialisée dans la production quasi quotidienne de deepfakes mettant en scène Ibrahim Traoré. Selon l’actualité, ces contenus le font s’adresser à des figures internationales telles que Donald Trump, Emmanuel Macron, Vladimir Poutine ou encore des personnalités du monde sportif.
Bien que ces vidéos comportent parfois une mention indiquant que le contenu a été généré numériquement, cette précision reste peu visible et largement ignorée par les internautes qui les relaient massivement. Résultat : ces deepfakes cumulent plusieurs millions de vues et contribuent à brouiller la compréhension des enjeux réels, dans un contexte régional déjà marqué par la guerre, la méfiance et la manipulation de l’information.
À l’heure où les tensions persistent à l’est de la RDC malgré les accords diplomatiques, cette prolifération de fausses informations illustre un nouveau champ de bataille : celui de l’opinion publique, désormais exposée aux dérives de l’intelligence artificielle et à ses usages malveillants.