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Marine Le Pen s’est imposée à Mayotte

Lundi 18 Avril 2022

C'est à Mayotte, à plus de 8 000 kilomètres de ses bastions traditionnels du nord de la France – 39,27 % et 38,68 % des suffrages dans l’Aisne et dans le Pas-de-Calais – que Marine Le Pen a réalisé son meilleur score au premier tour, loin devant Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron. Elle a recueilli 42,89 % des suffrages, soit 14 958 voix mahoraises, là où l’Insoumis en a recueilli 23,96 % (8 398 voix) et le président sortant 16,94 % (5 936 voix).

Pour sa troisième campagne présidentielle, la candidate du Rassemblement national connaît ainsi une très forte progression à Mayotte, où elle partait de très bas, en 2012, avec un score modeste de 2,77 % (996 voix). En 2017, elle avait déjà progressé au premier tour avec 27,19 %, derrière François Fillon (32,62 %), mais avait été battue par Emmanuel Macron au second tour avec 42,89 % des suffrages (14 374 voix). Cinq ans plus tard, elle est en tête au premier tour, et de loin, avec déjà plus de voix qu’au second tour de 2017. Emmanuel Macron, lui, a perdu 428 voix par rapport au premier tour de 2017.

La "corde sensible" de l’insécurité et de l’immigration clandestine
Thani Mohamed-Soilihi, sénateur de Mayotte du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI, précédemment LREM), n’est "malheureusement pas très surpris" par un résultat qui "s’inscrit dans la continuité des élections européennes" de 2019, où le RN avait glané 46,12 % des suffrages. Pour le parlementaire, Marine Le Pen "souffle sur les braises avec son discours sur l’immigration et l’insécurité" à Mayotte. "Ce discours facile, populiste, plaît localement. C’est ce qui explique ce score", explique-t-il à France 24.

L’insécurité et l’immigration clandestine, thèmes de prédilection du RN, touchent la "corde sensible" de nombreux Mahorais, estime Thani Mohamed-Soilihi. Un sentiment corroboré par les chiffres de l’Insee et par les médias locaux qui se font écho des problèmes rencontrés dans l’archipel.

Dans son rapport "Cadre de vie et sécurité à Mayotte" de novembre 2021, l’Insee décrit une "délinquance hors norme". Sur la période 2018-2019, dans chaque domaine – cambriolages, vols, violences physiques ou sexuelles… – la délinquance mahoraise dépasse très nettement les chiffres de la France métropolitaine. "Les habitants de Mayotte sont personnellement trois fois plus victimes de vols avec ou sans violences", indique l’Insee, et le sentiment d’insécurité "dépasse de loin tous les standards de la métropole ou des autres Drom (Départements et régions d’Outre-mer)". En effet, 48 % des Mahorais se sentent en insécurité à leur domicile (52 % dans leur quartier), soit cinq à six fois plus que dans l’Hexagone. Tous ces chiffres augmentent année après année.

L’immigration clandestine inquiète également la population : les bateaux venus des Comores affluent tous les jours et exaspèrent les Mahorais, qui y voient la source de nombre de maux. Dans son rapport de février 2019, l’Insee indiquait qu’entre "l’immigration importante depuis les Comores" et les départs de "natifs de Mayotte vers l’extérieur", 48 % de la population du département était étrangère en 2017, chiffre en hausse de 8 % par rapport à 2012.

Du pain bénit pour Marine Le Pen, qui a longuement évoqué ces sujets lors de sa dernière visite dans l'archipel, en décembre 2021. "Mayotte, c’est presque le laboratoire de l’horreur. (…) C’est notre futur si rien n’est fait", a-t-elle déclaré face à des électeurs déjà conquis.


Mobiliser les abstentionnistes
Soutien du président sortant, le sénateur Thani Mohamed-Soilihi évoque lui aussi des "moments très durs ces dernières années", mais aborde le sujet sous un angle bien différent : "Il y a une part d’injustice car c’est le résultat de plusieurs années d’actions inefficaces. Si les gouvernements précédents s’étaient occupés de ces fléaux comme l’a fait Emmanuel Macron, on n’en serait pas là aujourd’hui." Il cite notamment en exemple la réduction de la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté, de 84 % à 77 %, au cours du dernier quinquennat.

"Les Mahorais ont un sentiment d’abandon. Le résultat est conforme à ce qui se passe. (…) Il était important d’avoir une candidate qui tienne compte de nos craintes, de nos difficultés. Marine Le Pen est celle qui nous a convaincus", expliquait Daniel Zaïdani, au micro de Mayotte La 1ère, au soir du premier tour. "Emmanuel Macron a montré des limites par rapport à ce dont nous avons besoin", a ajouté cet ancien président sans étiquette du Conseil général de Mayotte de 2011 à 2015, qui a apporté son soutien à Marine Le Pen  en décembre 2021.

Alors que Marine Le Pen a passé trois jours à Mayotte fin 2021, Emmanuel Macron s’est contenté d’une vidéo et d’une lettre aux Mahorais et aux Outre-mer, le 17 mars. Pour le président de la République, c’est une fin de quinquennat délicate à Mayotte, terre où il avait commis l’une de ses premières fautes de communication après son élection. En juin 2017, Emmanuel Macron avait plaisanté sur les kwassa-kwassa, bateaux de pêches rapides également utilisés par les immigrés clandestins. "Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent", avait-il lancé, créant la polémique. 

Le 24 avril, pour le second tour, le sénateur Mohamed-Soilihi espère un rebond en faveur du président de la République et mise pour cela sur les abstentionnistes : "Il y a un travail d’explication et de terrain à faire. Nous l’avons fait au premier tour, pas suffisamment. Nous devons le continuer et voir où il y a eu le plus d’abstention. C’est un travail de longue haleine." Et il y a de quoi faire : 59,69 % de la population en âge de voter s’est abstenue au premier tour, soit le taux le plus élevé jamais enregistré pour une présidentielle à Mayotte, dépassant les 58,78 % de 2002.

Derrière Marine Le Pen, le RN invisible à Mayotte 
Vu de la métropole, le plébiscite du RN suscite de l’incompréhension pour qui ne connaît pas les problématiques mahoraises. Sur les réseaux sociaux, les réactions moqueuses ou courroucées ont fleuri devant le score de Marine Le Pen. "C’est une anomalie qu’une population noire, à plus de 90 % musulmane, vote pour une islamophobe, une personne d’un parti dont certains membres tiennent régulièrement des discours contre les Noirs, les arabes, les musulmans…", tacle Thani Mohamed-Soilihi.

Plutôt qu'une "anomalie", Daniel Zaïdani, lui, y voit de la "clairvoyance" : "À moins de dire que les Mahorais sont des abrutis qui ne comprennent rien à la politique… Les Mahorais sont clairvoyants", expliquait-il sur le plateau de Mayotte La 1ère, le 12 avril.

Mais si la délinquance et l’immigration clandestine ont porté Marine Le Pen lors des élections européennes et à nouveau au premier tour de l'élection présidentielle de 2022, le Rassemblement national peine à se faire une place dans les scrutins locaux. Le parti d'extrême droite a été quasi inexistant lors des municipales de 2020, ne faisant guère mieux qu'aux législatives de 2017, où il n’avait recueilli que 3,08 % des suffrages. Et même le site web de la fédération mahoraise du RN renvoie vers une adresse abandonnée, signe d’un manque cruel d’organisation.

C'est tout le paradoxe de Mayotte, où le Rassemblement national laisse les scrutins locaux à l’opposition, tandis que sa patronne séduit les Mahorais et caracole dans les autres élections de plus grande envergure.


france24
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