A peine arrivé dans sa suite au dernier étage de l’hôtel Intercontinental, avec vue imprenable sur le Léman et la Cité de Calvin, le président sénégalais, Macky Sall, est assailli par une vague de visiteurs en ce lundi soir. On nous prévient: il n’aura que quinze minutes à nous accorder. Vingt maximum. Pourtant, c’est un chef d’Etat détendu qui répond aux questions, débordant largement l’horaire annoncé. Interview avant la conférence intitulée «Pour un nouveau regard sur l’Afrique», qu’il donnera ce mardi soir à 18 h 30 à Uni Dufour.
Vous voulez un nouveau regard sur l’Afrique. En quoi notre vision est-elle faussée?
L’Afrique est souvent racontée par les autres. On nous parle des coups d’Etat, des guerres, des famines, du sida… Mais jamais rien de positif n’est mentionné. Pourtant, ce continent, c’est 55 pays, un milliard d’habitants, une grande dynamique économique, une terre d’opportunités, d’investissements. Ce discours-là a besoin d’être construit, nous devons en être les messagers. Dans presque tous ces pays, des politiques de développement sont en marche!
Justement, vous avez lancé le «Plan Sénégal émergent» en 2014. Qu’est-ce qui a changé concrètement?
Par le passé, il y eut des plans pour lutter contre la pauvreté. Ce n’est pas assez ambitieux! Nous voulons développer notre pays, le faire émerger. Nous avons défini trois axes. D’abord, une transformation structurelle de notre économie. Par exemple, l’agriculture était restée traditionnelle, la production ne nous permettait pas d’atteindre l’autosuffisance. Nous investissons pour mécaniser l’agriculture et améliorer l’irrigation. En trois ans, certaines productions ont doublé. Et les oignons sont produits en suffisance.
Un autre front, c’est l’énergie. Autrefois, le manque d’électricité provoquait des émeutes. En trois ans, nous avons doublé la capacité. Il y a dix fois moins de coupures. A présent, nous devons maîtriser la qualité et baisser les coûts. Nous développons aussi les énergies renouvelables, qui constituent déjà 20% de notre consommation. Nous avons lancé un programme d’urgence pour fournir de l’électricité à 60% des populations rurales (environ 4000 villages) et créer 200 km de pistes et de routes, ce qui désenclave les producteurs, leur permettant enfin d’accéder aux marchés et aux ports.
Enfin, troisième axe, nous devons améliorer la gouvernance économique et politique. Le taux de croissance est passé de 1,7% en 2012 (quand j’ai été élu à la présidence) à 6,7% en 2016. Et nous avons introduit des réformes pour renforcer l’Etat de droit…
Pourtant, Amnesty International dénonce des violations de la liberté d’expression et de réunion!
Ces critiques n’ont pas lieu d’être. En 2015, sur les 2131 manifestations qui nous ont été annoncées, nous en avons autorisé 2064. Dans à peine 3% des cas, nous avons jugé que la manifestation projetée – ou le parcours choisi – représentait un risque pour l’ordre public. Ceux qui ont bravé l’interdiction ont été stoppés. Ce serait le cas dans n’importe quel pays. Amnesty mentionne par ailleurs un cas de mort en détention. Un drame peut bien sûr arriver, mais il y a une enquête. La justice fait son travail. Vous savez, il y a au Sénégal d’anciens policiers qui ont été emprisonnés. C’est un Etat de droit. Personne ne conteste que notre pays est une démocratie, pas même Amnesty. Les réformes constitutionnelles dont je parle ont limité à deux le nombre de mandats présidentiels et réduit leur durée de sept à cinq ans. Nous avons introduit un statut spécial pour le chef de l’opposition. Nous avons amélioré la protection des citoyens en leur facilitant le droit de recours. Cette réforme a été adoptée par 63% des voix lors d’un référendum!
Vous critiquez le regard porté sur les Africains. Que pensez-vous du sort réservé aux migrants en Europe?
Il faut remettre les choses à leur place. D’abord, la migration africaine vers l’Europe, ce n’est pas du tout un phénomène nouveau. Si le nombre de migrants a augmenté, c’est d’une part le résultat des conflits au Moyen-Orient et d’autre part en raison d’une recrudescence des traversées à partir de la Libye (ndlr: qui se déchire depuis la chute de Kadhafi). Les Africains ne sont pas les plus nombreux et ils ne sont pas ceux qui posent le plus de problèmes. Je comprends que les pays européens ne puissent pas continuer à subir de tels assauts migratoires, mais ces personnes doivent être traitées avec dignité, ce sont des êtres humains. Il ne faut pas les stigmatiser. Cela étant dit, notre but est bien sûr de créer en Afrique des perspectives pour retenir nos enfants.
Le Sénégal ne fait pas partie du «G5 Sahel». Allez-vous participer à la force régionale contre le terrorisme?
Les pays du G5 Sahel se sont regroupés en raison de leurs particularités (ndlr: Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). Le Sénégal n’en est pas membre. Mais nous développons une politique commune en matière de lutte contre le terrorisme avec d’autres pays de la CEDEAO (ndlr: Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Par ailleurs, le Sénégal est très présent au Mali, pour ne citer qu’un exemple. C’est d’ailleurs le plus gros contingent de l’ONU dans ce pays. (24 heures)