Incursion aux urgences de l’hôpital idrissa Pouye : Une caverne où des patriotes se tuent à sauver des vies

Lundi 26 Septembre 2022

Le gouvernement sénégalais a décidé de fermer l'hôpital Aristide Le Dantec, le temps d'une réfection. Pendant ce temps, les services des urgences de certains hôpitaux de la capitale sénégalaise refoulent des malades soit par manque de places ou de moyens. Aux urgences de l'Hôpital Idrissa Pouye, ex-CTO, communément appelé Hôpital de Grand-Yoff où nous nous sommes rendus, des patriotes urgentistes s'engagent à sauver des vies, malgré les insoutenables conditions de travail. Ici, rien n'a changé. Ni le fil d'ambulances qui attendent d'être déchargées de leurs occupants, encore moins les va-et-vient incessants du personnel de l'hôpital.
 
 
La pression comme compagnon de fortune
Entre les hurlements profonds des climatiseurs et le bruit sec des plateaux de matériel médical, il y'a toujours un cri de douleur de patient qui s'invite ou les ordres d'un médecin à un infirmier qui se font entendre, pendant que les pneus usés des chariots sifflent sous le contact des carreaux, tellement le décor est resté le même. C'est dans ce climat de pression pour le corps médical, la peur des malades et le stress des accompagnants que des décisions doivent obligatoirement être prises pour sauver une vie. Ainsi, après l'arrivée du patient, les premiers intervenants sont les gens de la salle de tri. Composée d'une équipe de 3 agents, ils sont chargés de l'accueil et de l'orientation des nouveaux arrivants. Tout cela, sous la coordination du major de garde. Un fait est clair, ce n'est pas forcément tous les malades qui sont retenus, comme en témoignent ces directives du médecin de garde : "Avant de décharger le malade, il faut laisser le temps aux gens de vous dire s'il y a de la place ou pas. Mme Sall vous savez parfaitement que nous sommes débordés et il n'y a plus de place ici. Laissez-le dans l'ambulance et demandez au docteur de venir voir où le référer".
Une triste réalité qui désole les urgentistes au premier rang. Ce monsieur dont nous tairons le nom sous sa demande donne, en deux chiffres, la clé de l’afflux sans cesse croissant de malades aux portes des Urgences de l’hôpital GYP: " Nous sommes au cœur de Dakar qui compte pas moins de 8 millions d'habitants, pour 3 hôpitaux, c'est très peu". Pourtant, l'organisation du service devrait faciliter le travail de ces dizaines d'urgentistes qui ont fait le serment de sauver par tous les moyens. Entre la salle de tri, celle des Urgences chirurgicales et les Urgences médicales, tout semble être mis en place pour donner le meilleur service possible. Mais, comme au Sénégal, les choses sont toujours le contraire de ce qu'elles doivent être, rien de surprenant quand le personnel médical dénonce les dures conditions de travail.
 
Le calvaire du personnel médical
A chaque nouvelle arrivée, une infirmière ausculte d'abord les malades, avant qu'ils passent devant le médecin, qui les classe par ordre de priorité selon les traumas et les maux recensés. Les patients chanceux sont ceux qui vont être hospitalisés. Les autres, les moins chanceux, sont pris en charge par un médecin ou un interne du service, avant que les derniers ne soient réorientés vers d'autres hôpitaux. Plusieurs agents de sécurité sont présents en continu aux urgences. Ils ont été installés dans les coins stratégiques du Service. Parfois, leur simple présence suffit à faire descendre la tension. Pas toujours. "On est menacés presque quotidiennement", déplore cet étudiant en Transit et Logistique qui essaie d'arrondir ses fins du mois, en attendant l'ouverture de l'université. "La semaine dernière, je me suis fait filmer par un papa parce que je rappelais qu'il ne fallait qu'un seul parent dans la salle d'attente à cause du contexte sanitaire" raconte-t-il, dans son coin. Agressions verbales, parfois physiques, attentes qui s'éternisent… Les aides-soignants et garçons de salle sont en première ligne alors que les infirmiers sont exténués. Le turn-over est important. Dans ce service, ils sont en moyenne 1 infirmier par équipe, aux ordres de 5 à 6 médecins, pour une vingtaine de patients. Pendant ce temps, à l'accueil des urgences, le ton monte. Une vingtaine de parents patientent dans le hall. Certains se sont endormis, leur enfant sur le ventre. "Vous savez pour combien de temps il y en a", s'enquiert une mère. "Je suis arrivée à 18 heures’’, rugit une autre. Si ma fille ne fait pas partie des cas urgents, il faut nous le dire ! Il faut nous libérer !" Il est plus de 2 heures du matin. "C'est l'heure où ça commence à devenir compliqué", explique Oumar Infirmier d'Etat d'une trentaine d'années, dont 5 au moins dans le service des Urgences de l’hôpital, avec à ses côtés, Traoré, 28 ans à peine et prestataire de son état. "On ne peut pas vous répondre", poussent-ils d'une voix douce aux parents. Avant d'ajouter que cela change tout le temps en fonction des arrivées et des urgences à traiter en priorité.
 
Une caverne comme local
Niché en plein cœur de l'hôpital, comme pour montrer le rôle stratégique qu'il doit jouer, le bâtiment qui fait office d'urgences fait rêver, avec sa couleur marron-beige. Toutefois le décor à l'intérieur laisse vraiment à désirer. À l'évidence, l'accent n'est pas trop mis sur l'entretien. C'est du moins, ce que renseigne l'eau qui coule des climatiseurs et qui a fini d'inonder la salle des Urgences chirurgicales. "Toute la hiérarchie est au courant de la situation. Du chef de Service au major, en passant par le Service de maintenance, ils ont tous été avertis. Mais, personne ne réagit et c'est ainsi depuis 4 jours", nous chuchote-t-on. Chez le personnel médical, on ne prête pas trop attention à l'état de la salle, comme en témoignent ses propos de l'infirmier de garde: " Ce qui nous importe le plus, c'est comment soulager nos malades et cela, peu importe les conditions de travail. Le sérieux est la chose qui manque le plus dans ce pauvre Sénégal. Sinon comment comprendre que des malades amenés en urgences soient traités dans une salle remplie d'eau ?"



Au même moment, les 3 médecins de garde se bousculent et s'entrelacent pour mieux visionner la radio de la vieille Dame en larmes sur son chariot. Rien qu'une petite table, 2 chaises, dans un petit coin de la salle, comme bureau, à se partager, entre spécialistes, médecins et infirmiers. C'est dans ce baume que les premiers diagnostics doivent être faits, le temps d'une nuit entière.


D'ailleurs, parmi les internes présents, l'un n'est plus sûr de vouloir poursuivre sa carrière d'urgentiste. "Les urgences, c'est un rêve qui s'effondre", souffle-t-il, fatiguée. C'est à se demander s'il faut en rire ou en pleurer. Des malades qui se réveillent les matins soulagés de leur douleur, le corps médical heureux de rentrer à la maison, après avoir redonner le sourire à une maman ou un père de famille et une structure qui attend toujours quant à elle, son heure pour être relooké pour enfin s'afficher dans ses beaux jours.
 
Babacar Francky Ba
 
 
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