«Je n’accepterai plus jamais d’avoir un chef autre que le peuple sénégalais. Conseiller municipal, conseiller régional de Thiès, député à l’Assemblée nationale ou président de la République sont les seules stations où je peux être», défendait Idrissa Seck lors du premier anniversaire de la seconde alternance politique qui a porté Macky Sall au Pouvoir en 2012. Mais ce dimanche 1er novembre 2020, à la surprise quasi-générale, Idrissa Seck a remis en cause ses convictions.
Quelles pourraient être les conséquences de son rapprochement avec Macky Sall ?
Sa cote de popularité qui s’est décrépie depuis son jeu de yoyo avec Abdoulaye Wade ne risque-t-il pas de prendre un autre sacré coup après cette nomination qui vient lever le mystère sur ses relations politiques avec Macky Sall ? Son retour dans la majorité, ne constitue-t-il pas une voie de garage ? Est-ce que cela ne va pas acter définitivement la fin de sa carrière politique ? Ruse ou suicide politique ? Même si Idrissa Seck a pris les devants en essayant de lever les doutes sur son avenir politique, ces questions restent drues sur la place publique.
Deux hypothèses pour un reniement
Docteur en science politique, Papa Fara Diallo, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger (Ugb), estime que Idrissa Seck court un double risque en se ralliant à Macky Sall. «Cela peut-être une ruse comme un suicide. Idrissa Seck est un fin tacticien politique. Il peut penser qu’il est en train de ruser, comme cela peut être vu aux yeux de l’opinion comme une forme de suicide politique.» Pour le professeur en science politique, Papa Ogo Seck, la réponse est affirmative : «Il s’agit d’un suicide politique car le Pouvoir cherche toujours à sécuriser le Pouvoir», explique-t-il dans un jeu de mots. Une thèse soutenue par le journaliste et analyste politique Cheikh Yérim Seck. Pour le patron de YerimPost et ancien du Magazine panafricain Jeune Afrique, le leader du Rewmi s’est fait harakiri depuis longtemps. «Depuis sa défaite à la présidentielle de février 2019.» Yérim Seck explique : «Idrissa Seck a tout bonnement "dealé" pour se caser avec les siens et dès le lendemain de sa défaite à la présidentielle de février 2019. Les termes exacts du deal entre Idrissa Seck et Macky Sall seront connus dans les mois et années à venir.»
Dr Papa Fara Diallo pense, lui aussi, que les jours à venir vont édifier l’opinion publique sur le contenu de ce deal entre Idrissa Seck et Macky Sall. Toutefois, deux hypothèses peuvent être dégagées devant ce rebondissement politique. «La première c’est que le président Macky Sall n’a pas encore abandonné l’idée de briguer un troisième mandat en 2024, explique-t-il. Et deux choses confortent cette hypothèse. C’est un Gouvernement éminemment politique. Il a écarté tous les potentiels présidentiables de son parti. Makhtar Cissé, Amadou Bâ, Aly Ngouye Ndiaye, Mimi Touré. Il est en train de placer ses pions pour préparer tranquillement l’éventualité d’un troisième mandat où il sera candidat.» Un postulat conforté par le journaliste et analyste politique Momar Diongue. «Macky Sall est dans une logique de consolider son option pour un troisième mandat.»
La deuxième hypothèse, poursuit Dr Papa Fara Diallo, c’est que Macky Sall considère que juridiquement, il ne peut pas être candidat en 2024 et un forcing le mettrait face à des tensions politiques et sociales. «Cette hypothèse est à envisager. Le Président Macky Sall veut placer Idrissa Seck, le propulser en 2024 à être candidat de la majorité présidentielle et que si Idrissa Seck quitte le pouvoir, il (Macky Sall) pourra se représenter parce qu’il est jeune.»
«A trop vouloir montrer qu’on est malin…»
Si la deuxième hypothèse ne se confirme pas, ajoute l’enseignant-chercheur en Science politique, son entrée dans la majorité présidentielle va totalement le desservir pour 2024, si tant est qu’il a des ambitions pour la prochaine présidentielle. «Son entrisme avec le président Abdoulaye Wade lui a valu de perdre les élections de 2007, alors qu’il était en pole position, rappelle Dr papa Fada Diallo. Wade l’a rappelé à ses côtés, il a accepté, il a joué et il a perdu. C’est un grand homme politique, un grand tacticien. Mais à trop vouloir montrer qu’on est malin, qu’on peut tirer son épingle du jeu en toute circonstance, on finit par le payer cash.» De l’avis du journaliste-analyste politique Cheikh Yerim Seck, «l'entrisme du leader de Rewmi le disqualifie totalement comme alternative à Macky Sall et positionne de facto Ousmane Sonko comme le poids lourd de l'opposition.»
Le journaliste et analyste politique Momar Diongue ne croit pas, non plus, que ce compromis est fait dans l’objectif de faire de Idrissa Seck candidat de la mouvance présidentielle en 2024. L’explication qu’il donne à cette nouvelle posture de Idrissa Seck, c’est qu’il a fini par reconnaître la réalité, de faire une lecture lucide de sa vie politique. «Il a fini de faire le deuil de son ambition présidentielle, dit-il. Il ne se fait plus d’illusion. Il a déjà eu trois tentatives infructueuses à une élection présidentielle. Il a fait la lecture des résultats obtenus lors de la dernière élection présidentielle. Si c’était un autre candidat qui avait rallié autour de sa candidature autant de formations, il serait, sans doute allé beaucoup plus loin que les 20% de Idrissa Seck. Il sait que le ressort s’est cassé entre lui et le peuple. Le courant de sympathie entre Idrissa Seck et le peuple ne marche plus. Je crois qu’il en a tiré la conclusion qu’il ne peut plus avoir une ambition présidentielle et qu’il ne sert à rien d’être dans le camp de l’opposition pour se préparer pour 2024.»
Pour Momar Diongue, Idrissa Seck fait exactement la même chose que Moustapha Niasse et feu Ousmane Tanor Dieng en décidant de réviser ses ambitions à la baisse et de se contenter d’un compagnonnage avec Macky Sall en se retrouvant à la tête d’une institution comme l’ont fait les deux anciens candidats à la Présidentielle. De ce rapprochement, poursuit-il, l’ancien proche collaborateur de Abdoulaye Wade cherche à se remettre d’aplomb. «Idrissa Seck avait envie de retrouver les affaires parce que la traversée du désert a dû, sans doute, être très difficile pour lui.»
Quelle que puisse être la raison, Momar Diongue soutient qu’il était beaucoup plus valorisant pour lui et plus important pour son avenir politique et son ambition de diriger le pays, qu’il soit chef de l’opposition. «En faisant de lui le président du Cese, il lui retire ce costume de chef de l’opposition qui l’aurait peut-être mis en pole position pour la prochaine présidentielle.»
Implosion Rewmi
L’entrée de Idrissa Seck à la majorité ne sera pas sans conséquence au sein de sa formation politique. Elle a suscité de vives réactions au sein du Rewmi déjà affaiblie par beaucoup de départs. Certains, surpris par la nomination des siens, ont même rué dans les brancards. «Les militants sont déçus de part et d’autre, car ils imaginent encore un ‘’deal’’ politique entre les leaders et voilà pourquoi la plupart des militants surtout de Rewmi, à les entendre parler, ont ‘’jeté l’éponge’’, soutient le Pr Papa Ogo Seck. Ils gardent encore en mémoire les discours de leur leader sur le caractère ‘’budgétivore’’ de l’institution qu’il est appelé aujourd’hui à diriger, à savoir le Conseil économique, social et environnemental.» Rewmi ne sortira pas indemne des décisions prises hier. «Cela risque de créer des grincements de dents. Parce qu’on a comme l’impression que Idrissa Seck a un cercle très restreint autour duquel on compte Yancoba Diattara, son lieutenant le mieux servi, s’il y a quelque chose à prendre».
Ce rapprochement aura le même impact que le Parti socialiste (Ps) qui est entré dans le Gouvernement, présage Dr Papa Fara Diallo. «Certains de ses lieutenants vont le soutenir, d’autres pourraient créer une fronde pour marquer leur désapprobation à la ligne politique de Idrissa Seck. Et Ousmane Sonko pourrait aller pêcher chez ces militants déçus du comportement de leur responsable.» Et ce qui reste du parti Rewmi, après le départ de certains comme le Colonel Kébé découragés par le long silence de Idrissa Seck depuis la présidentielle, «vont continuer à compter comme quantité négligeable, dans un parti piloté par les seuls intérêts et calculs du leader», pense le journaliste Cheikh Yerim Seck.
Dans l’immédiat, ce retour aux affaires pourra lui permettre, selon ces analystes politiques, de renflouer les caisses du parti Rewmi, de caser quelques militants parmi les plus loyaux.
LOBS