Umaro Sissoco Embaló ne l’a probablement pas vu venir. Présenté par ses adversaires comme « sans expérience notable », Fernando Dias da Costa s’est pourtant imposé comme un redoutable outsider dans la dernière ligne droite de la présidentielle prévue ce dimanche 23 novembre. Si l’équipe du président sortant martèle que c’est un adversaire « comme un autre », un bras de fer s’est imposé entre les deux hommes, laissant peu de place aux dix autres prétendants, parmi lesquels João Bernardo Vieira ou l’ex-président José Mário Vaz.
Il y a un mois, Umaro Sissoco Embaló avait encore devant lui un boulevard. Son rival historique, Domingos Simões Pereira (DSP), défait au second tour en 2019 au terme d’un scrutin contesté, avait été exclu de la course. La Cour suprême avait en effet rejeté sa candidature, évoquant un dépôt trop tardif. Le chef du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) a eu beau protester, affirmant que son dossier avait été déposé plusieurs jours avant la date limite, rien n’y a fait. Si le PAIGC a hésité à s’enferrer dans des contestations juridiques sans fin (l’opposition estime que la Cour suprême et la commission électorale sont illégitimes et inféodées au pouvoir), il a finalement opté pour l’union de l’opposition et appuyé la candidature de Fernando Dias.
Le mot d’ordre du PAIGC sera-t-il suivi ?
En Guinée-Bissau, un soutien du PAIGC est sans équivalent politique. L’ancien parti unique, qui a mené la guerre d’indépendance, a certes rencontré des turbulences ces dernières années – Umaro Sissoco Embaló s’y est habilement engouffré pour créer son parti, le Madem G15 –, mais le parti n’en reste pas moins incontournable. Depuis 1994 et les premières élections pluralistes, c’est lui qui a fourni la plupart des présidents du pays et gagné la quasi-totalité des législatives. Les dernières en date, en juin 2023, ont vu sa coalition PAI-Terra Ranka remporter la majorité absolue avec 54 des 102 sièges de l’Assemblée nationale. Moins de six mois plus tard, Umaro Sissoco Embaló avait prononcé la dissolution du Parlement et mis fin à la cohabitation, dénonçant une tentative de déstabilisation. L’argument avait laissé certains observateurs circonspects.
Fort de ce soutien, Fernando Dias, 47 ans, a donc vu sa candidature changer d’envergure. Issu du Parti pour la rénovation sociale (PRS), il concourt toutefois en indépendant. La formation de l’ancien président Kumba Yala s’est déchirée entre les partisans du camp présidentiel et ceux ayant rejoint Dias. Ce dernier prend rarement la parole sans son bonnet rouge, symbole des Balantes, l’ethnie réputée majoritaire au sein de l’armée et très liée à l’identité du parti.
Signe que la greffe prend entre Dias et le PAIGC, les bonnets « Suwiya » noir et blanc associés à Amilcar Cabral, père de l’indépendance et fondateur du PAIGC, se mélangent aux couvre-chefs rouges dans les meetings de Fernando Dias. Surtout, ce dernier martèle qu’il dirigera aux côtés du PAIGC s’il venait à l’emporter.
L’opposition fait bloc contre Umaro Sissoco Embaló
Pour autant, le report des voix du PAIGC envers Fernando Dias sera-t-il automatique ? « DSP semble en mesure de faire se déplacer ses électeurs, estime Vincent Foucher, chercheur au CNRS. Mais si Dias gagne, cela ne consacre pas nécessairement sa victoire. En Guinée-Bissau, les alliances se défont vite, même si leur but, dans ce cas précis, est clair : ils veulent faire partir Sissoco Embaló. »
Les adversaires du président sortant exigent en effet son départ, estimant que son mandat est forclos depuis le 27 février 2025 et le cinquième anniversaire de son investiture. Un argument que rejette Umaro Sissoco Embaló, qui s’est dit convaincu de pouvoir l’emporter dès le premier tour. « Le président est accueilli à l’intérieur du pays et à Bissau dans la liesse. Nous allons l’emporter, les choses sont claires, y compris pour nos adversaires », balaye Soares Sambu, ministre de l’Économie et directeur de campagne du chef de l’État.
Umaro Sissoco Embaló : « Je ne suis pas un dictateur, je suis un peacemaker »
En attendant le premier tour, plusieurs candidats s’inquiètent de voir fleurir des attaques à caractère ethnique. Fernando Dias est balante ; Umaro Sissoco Embaló, peul. Ils représentent deux grandes ethnies du pays, et leurs équipes sont accusées de souffler sur les braises du communautarisme. « Les partis ont certes des bases ethno-régionales, mais les familles sont très mélangées et il y a énormément de mariages intercommunautaires et interreligieux », nuance Vincent Foucher. Dans une récente interview à Jeune Afrique, le chef de l’État s’est par ailleurs défendu de jouer cette carte : « Chez moi, la cohabitation communautaire commence à la maison puisque je suis musulman et que mon épouse est chrétienne. La Guinée-Bissau est un pays de mixité. José Mário Vaz est manjak ? Vous verrez, je vais le battre dans son fief. Fernando Dias da Costa est balante ? Idem, je le battrai chez lui. »
Boycott des législatives
Si l’émergence de l’outsider Dias peut compliquer la tâche du président (la date d’un éventuel second tour n’a pas été fixée), le terrain est en revanche dégagé pour les législatives également convoquées ce dimanche. La Cour suprême a, là encore, tranché en défaveur de l’opposition : la coalition PAI-Terra Ranka menée par le PAIGC a été exclue de la course pour les mêmes motifs technico-juridiques contestés par les adversaires du chef de l’État. « Nous avons fait passer le mot de boycotter les législatives, explique Agnelo Regala, président de l’Union pour le changement (UM), membre de PAI-Terra Ranka et impliqué dans la campagne de Dias. Je suis convaincu que nous l’emporterons dès le premier tour à la présidentielle. Il sera alors temps de remettre de l’ordre à l’Assemblée, qui, je le rappelle, a été dissoute inconstitutionnellement en 2023. »
Reste la sempiternelle question du rôle joué par les militaires. « Longtemps, l’armée a pris et rendu le pouvoir, résume Vincent Foucher. Ces derniers temps, elle est plus discrète. Mais si, en 2019, Sissoco Embaló a réussi à s’imposer, c’était en partie grâce au soutien de la hiérarchie militaire qui s’était rangée derrière lui. » Les troupes bissau-guinéennes n’en restent pas moins insondables, selon Vincent Foucher, qui croit percevoir « une montée des tensions entre l’armée et le président, dont témoignent les récentes arrestations parmi des hauts gradés accusés de vouloir le déstabiliser. » Umaro Sissoco Embaló a plusieurs fois dit voir, derrière les tentatives de déstabilisation armée, la main de son adversaire, Domingos Simões Pereira.
Il y a un mois, Umaro Sissoco Embaló avait encore devant lui un boulevard. Son rival historique, Domingos Simões Pereira (DSP), défait au second tour en 2019 au terme d’un scrutin contesté, avait été exclu de la course. La Cour suprême avait en effet rejeté sa candidature, évoquant un dépôt trop tardif. Le chef du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) a eu beau protester, affirmant que son dossier avait été déposé plusieurs jours avant la date limite, rien n’y a fait. Si le PAIGC a hésité à s’enferrer dans des contestations juridiques sans fin (l’opposition estime que la Cour suprême et la commission électorale sont illégitimes et inféodées au pouvoir), il a finalement opté pour l’union de l’opposition et appuyé la candidature de Fernando Dias.
Le mot d’ordre du PAIGC sera-t-il suivi ?
En Guinée-Bissau, un soutien du PAIGC est sans équivalent politique. L’ancien parti unique, qui a mené la guerre d’indépendance, a certes rencontré des turbulences ces dernières années – Umaro Sissoco Embaló s’y est habilement engouffré pour créer son parti, le Madem G15 –, mais le parti n’en reste pas moins incontournable. Depuis 1994 et les premières élections pluralistes, c’est lui qui a fourni la plupart des présidents du pays et gagné la quasi-totalité des législatives. Les dernières en date, en juin 2023, ont vu sa coalition PAI-Terra Ranka remporter la majorité absolue avec 54 des 102 sièges de l’Assemblée nationale. Moins de six mois plus tard, Umaro Sissoco Embaló avait prononcé la dissolution du Parlement et mis fin à la cohabitation, dénonçant une tentative de déstabilisation. L’argument avait laissé certains observateurs circonspects.
Fort de ce soutien, Fernando Dias, 47 ans, a donc vu sa candidature changer d’envergure. Issu du Parti pour la rénovation sociale (PRS), il concourt toutefois en indépendant. La formation de l’ancien président Kumba Yala s’est déchirée entre les partisans du camp présidentiel et ceux ayant rejoint Dias. Ce dernier prend rarement la parole sans son bonnet rouge, symbole des Balantes, l’ethnie réputée majoritaire au sein de l’armée et très liée à l’identité du parti.
Signe que la greffe prend entre Dias et le PAIGC, les bonnets « Suwiya » noir et blanc associés à Amilcar Cabral, père de l’indépendance et fondateur du PAIGC, se mélangent aux couvre-chefs rouges dans les meetings de Fernando Dias. Surtout, ce dernier martèle qu’il dirigera aux côtés du PAIGC s’il venait à l’emporter.
L’opposition fait bloc contre Umaro Sissoco Embaló
Pour autant, le report des voix du PAIGC envers Fernando Dias sera-t-il automatique ? « DSP semble en mesure de faire se déplacer ses électeurs, estime Vincent Foucher, chercheur au CNRS. Mais si Dias gagne, cela ne consacre pas nécessairement sa victoire. En Guinée-Bissau, les alliances se défont vite, même si leur but, dans ce cas précis, est clair : ils veulent faire partir Sissoco Embaló. »
Les adversaires du président sortant exigent en effet son départ, estimant que son mandat est forclos depuis le 27 février 2025 et le cinquième anniversaire de son investiture. Un argument que rejette Umaro Sissoco Embaló, qui s’est dit convaincu de pouvoir l’emporter dès le premier tour. « Le président est accueilli à l’intérieur du pays et à Bissau dans la liesse. Nous allons l’emporter, les choses sont claires, y compris pour nos adversaires », balaye Soares Sambu, ministre de l’Économie et directeur de campagne du chef de l’État.
Umaro Sissoco Embaló : « Je ne suis pas un dictateur, je suis un peacemaker »
En attendant le premier tour, plusieurs candidats s’inquiètent de voir fleurir des attaques à caractère ethnique. Fernando Dias est balante ; Umaro Sissoco Embaló, peul. Ils représentent deux grandes ethnies du pays, et leurs équipes sont accusées de souffler sur les braises du communautarisme. « Les partis ont certes des bases ethno-régionales, mais les familles sont très mélangées et il y a énormément de mariages intercommunautaires et interreligieux », nuance Vincent Foucher. Dans une récente interview à Jeune Afrique, le chef de l’État s’est par ailleurs défendu de jouer cette carte : « Chez moi, la cohabitation communautaire commence à la maison puisque je suis musulman et que mon épouse est chrétienne. La Guinée-Bissau est un pays de mixité. José Mário Vaz est manjak ? Vous verrez, je vais le battre dans son fief. Fernando Dias da Costa est balante ? Idem, je le battrai chez lui. »
Boycott des législatives
Si l’émergence de l’outsider Dias peut compliquer la tâche du président (la date d’un éventuel second tour n’a pas été fixée), le terrain est en revanche dégagé pour les législatives également convoquées ce dimanche. La Cour suprême a, là encore, tranché en défaveur de l’opposition : la coalition PAI-Terra Ranka menée par le PAIGC a été exclue de la course pour les mêmes motifs technico-juridiques contestés par les adversaires du chef de l’État. « Nous avons fait passer le mot de boycotter les législatives, explique Agnelo Regala, président de l’Union pour le changement (UM), membre de PAI-Terra Ranka et impliqué dans la campagne de Dias. Je suis convaincu que nous l’emporterons dès le premier tour à la présidentielle. Il sera alors temps de remettre de l’ordre à l’Assemblée, qui, je le rappelle, a été dissoute inconstitutionnellement en 2023. »
Reste la sempiternelle question du rôle joué par les militaires. « Longtemps, l’armée a pris et rendu le pouvoir, résume Vincent Foucher. Ces derniers temps, elle est plus discrète. Mais si, en 2019, Sissoco Embaló a réussi à s’imposer, c’était en partie grâce au soutien de la hiérarchie militaire qui s’était rangée derrière lui. » Les troupes bissau-guinéennes n’en restent pas moins insondables, selon Vincent Foucher, qui croit percevoir « une montée des tensions entre l’armée et le président, dont témoignent les récentes arrestations parmi des hauts gradés accusés de vouloir le déstabiliser. » Umaro Sissoco Embaló a plusieurs fois dit voir, derrière les tentatives de déstabilisation armée, la main de son adversaire, Domingos Simões Pereira.