La maison des œuvres catholiques de Ziguinchor, sise dans le quartier populaire de Santhiaba, était un ensemble de petits bâtiments à la peinture blanche défraîchie. La poussière argileuse, les émanations de l’usine de la SONACOS à quelques centaines de mètres, ainsi que le peu d’entretien, avaient fini par jeter un voile de banalité sur le lieu, qui sentait le pauvre et l’abandonné. Sans l’âme de Dieu, qui donnait à l’ensemble une certaine tenue, une grâce mystérieuse ; sans le prestige de ses occupants, voire leur charme messianique, cette maison eût été condamnée, comme l’ensemble du mobilier urbain de la ville délaissé par les soins et délavé par les hivernages.
Quand les collectifs d’élèves, du Foyer scolaire et du Conseil consultatif du lycée Djignabo de Ziguinchor décidèrent, en 2003, de marcher vers la maison pour appeler à la paix en Casamance, l'enthousiasme était d’abord mesuré. N’empêche, par magie, par miracle, et très vite, la procession eut lieu. D’une euphorie étonnante et sublime, la foule, avec ce qui lui est propre, la transe et la démesure, avança du lycée vers Santhiaba, accablée de lamentations tristes, produisant en chœur ce chant pour la paix qui sortait des tripes, des entrailles. Chant déchirant le ciel brûlant, d’autant plus grave qu’il traversait le regard de jeunes, de très jeunes, de badauds, joignant le cortège au détour d’une ruelle.
Le lycée s’était fait ville, et la ville, elle, voulait, une fois admise dans le diocèse de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, la paix, et rien d’autre. Une année plus tôt, des soldats avaient été encore tués dans des accrochages, des civils avaient perdu jambes, vies, en sautant sur des mines antipersonnel. Et comble de la malédiction meurtrière qui frappait le Sud, le bateau le Joola, dernière respiration d’espérance, s’engloutissait dans les eaux gambiennes. C’est avec ce passif, lourd dans la mémoire, que la ville hâta le pas, par milliers, la détermination incorruptible.
Augustin Diamacoune Senghor reçut la foule. Du moins le carré de tête. Le gros des troupes transpirait en dehors de l’enceinte du bâtiment. Comme dans une prière improvisée, les gens accroupis, silencieux ou aphones, attendaient du conclave des officiels, comme une lumière blanche, comme une fumée papale, promettant de mettre fin au supplice. Augustin Diamacoune Senghor ressortit. Étrangement calme, presque sublime de retenue. Il ne promit rien d’autre que « la vérité et la justice », et répondant à la requête populaire sur la « paix », il confirma qu’elle était un vœu commun, que toute sa vie était dédiée à cet ouvrage.
Un mélange d’insatisfaction et de recueillement frappa la foule. Il s’y passa comme un temps figé, entre l’innocence irrépressible de la quête et la maturité ecclésiastique de la sagesse. La foule bâtit retraite. S’éparpillant en essaims divers, tantôt optimistes, tantôt abattus. Ce fut mon premier tête-à-tête, quoique lointain, avec l’abbé, dont je revois encore l’œil vigoureux, et cette malice de séminariste.
On nous avait tous appris à Ziguinchor à haïr Augustin Diamacoune Senghor comme le mal. Comme un personnage Bernanossien, l’abbé était décrit sans âme ni compassion par la légende populaire. On nous acculait de le détester, de voir en lui les litres de sang qui abreuvent la terre de Casamance et qui la noient dans le malheur. Je m’y employais pour ainsi dire, mais en vain. Très vite, j’avais trouvé chez le pensionnaire du séminaire de Ngasobil, les mêmes éclats dans la voix, la même allure presque insouciante qu’à Léopold Sédar Senghor. Il y avait une communauté d’âmes, de destins, de voix, une filiation entre les deux hommes, dont le séminaire Ngasobil ne fut pas le seul bâtisseur. Il y avait autre chose, comme la marque d’une époque, le militantisme dans le Bloc démocratique sénégalais (BDS), le goût des lettres, et l’attachement, qui à la force poétique comme véhicule de la civilisation ; qui à la parole divine comme sagesse expiatoire des vilenies de ce monde.
Léopold Sédar Senghor et Augustin Diamacoune Senghor, les jumeaux atypiques d’un temps anticolonial, complices sans être d’accord, avaient fait une trêve de culture, d’affection et d’élégance. Le MFDC, entité d’abord politique dont il hérita et qu’il dirigea, formidable école intellectuelle, porte la trace de ce souvenir, qui ne reste hélas qu’un souvenir…
Quand il meurt à l’hôpital du Val-de-Grâce le 13 janvier 2007, Augustin Diamacoune Senghor est resté le même. Tout juste a-t-il perdu un peu de flamme. Sans le dire ouvertement, il avait un mépris pour Dakar, encore plus pour les expropriations historiques de terres casamançaises, les expéditions punitives de l’armée et les compromissions principielles. C’était un homme de Dieu, qui avait toujours essayé de le rester, même percuté par la violence de l’histoire et de la politique. La Casamance était comme un rêve, celui d’une génération. Cependant, les rêves deviennent cauchemars quand ils sont interminables, pire, inachevés. Ils deviennent l’hypothèque d’une vie. Dieu était la face de la sienne, qui essayait d’absoudre le mal dont il a pu être complice, même si chronologiquement, il en fut d’abord victime.
Des séjours carcéraux à l’assignation à la maison de Santhiaba, la réclusion donne, aux âmes prédisposées, le bonus de la sagesse. Si les biographes sénégalais ont une urgente mission, c’est celle de l’étude de la matière Histoire, elle seule. Dans sa complexité infinie. Sans être ni tribunaux populaires, ni procureurs moraux. Augustin Diamacoune Senghor a porté la croix et rêvé d’une bannière, avant de filer vers le repos éternel. C’est presque une métaphore religieuse entre le Bien et le Mal, et au milieu, surtout, le possible.
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Quand les collectifs d’élèves, du Foyer scolaire et du Conseil consultatif du lycée Djignabo de Ziguinchor décidèrent, en 2003, de marcher vers la maison pour appeler à la paix en Casamance, l'enthousiasme était d’abord mesuré. N’empêche, par magie, par miracle, et très vite, la procession eut lieu. D’une euphorie étonnante et sublime, la foule, avec ce qui lui est propre, la transe et la démesure, avança du lycée vers Santhiaba, accablée de lamentations tristes, produisant en chœur ce chant pour la paix qui sortait des tripes, des entrailles. Chant déchirant le ciel brûlant, d’autant plus grave qu’il traversait le regard de jeunes, de très jeunes, de badauds, joignant le cortège au détour d’une ruelle.
Le lycée s’était fait ville, et la ville, elle, voulait, une fois admise dans le diocèse de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, la paix, et rien d’autre. Une année plus tôt, des soldats avaient été encore tués dans des accrochages, des civils avaient perdu jambes, vies, en sautant sur des mines antipersonnel. Et comble de la malédiction meurtrière qui frappait le Sud, le bateau le Joola, dernière respiration d’espérance, s’engloutissait dans les eaux gambiennes. C’est avec ce passif, lourd dans la mémoire, que la ville hâta le pas, par milliers, la détermination incorruptible.
Augustin Diamacoune Senghor reçut la foule. Du moins le carré de tête. Le gros des troupes transpirait en dehors de l’enceinte du bâtiment. Comme dans une prière improvisée, les gens accroupis, silencieux ou aphones, attendaient du conclave des officiels, comme une lumière blanche, comme une fumée papale, promettant de mettre fin au supplice. Augustin Diamacoune Senghor ressortit. Étrangement calme, presque sublime de retenue. Il ne promit rien d’autre que « la vérité et la justice », et répondant à la requête populaire sur la « paix », il confirma qu’elle était un vœu commun, que toute sa vie était dédiée à cet ouvrage.
Un mélange d’insatisfaction et de recueillement frappa la foule. Il s’y passa comme un temps figé, entre l’innocence irrépressible de la quête et la maturité ecclésiastique de la sagesse. La foule bâtit retraite. S’éparpillant en essaims divers, tantôt optimistes, tantôt abattus. Ce fut mon premier tête-à-tête, quoique lointain, avec l’abbé, dont je revois encore l’œil vigoureux, et cette malice de séminariste.
On nous avait tous appris à Ziguinchor à haïr Augustin Diamacoune Senghor comme le mal. Comme un personnage Bernanossien, l’abbé était décrit sans âme ni compassion par la légende populaire. On nous acculait de le détester, de voir en lui les litres de sang qui abreuvent la terre de Casamance et qui la noient dans le malheur. Je m’y employais pour ainsi dire, mais en vain. Très vite, j’avais trouvé chez le pensionnaire du séminaire de Ngasobil, les mêmes éclats dans la voix, la même allure presque insouciante qu’à Léopold Sédar Senghor. Il y avait une communauté d’âmes, de destins, de voix, une filiation entre les deux hommes, dont le séminaire Ngasobil ne fut pas le seul bâtisseur. Il y avait autre chose, comme la marque d’une époque, le militantisme dans le Bloc démocratique sénégalais (BDS), le goût des lettres, et l’attachement, qui à la force poétique comme véhicule de la civilisation ; qui à la parole divine comme sagesse expiatoire des vilenies de ce monde.
Léopold Sédar Senghor et Augustin Diamacoune Senghor, les jumeaux atypiques d’un temps anticolonial, complices sans être d’accord, avaient fait une trêve de culture, d’affection et d’élégance. Le MFDC, entité d’abord politique dont il hérita et qu’il dirigea, formidable école intellectuelle, porte la trace de ce souvenir, qui ne reste hélas qu’un souvenir…
Quand il meurt à l’hôpital du Val-de-Grâce le 13 janvier 2007, Augustin Diamacoune Senghor est resté le même. Tout juste a-t-il perdu un peu de flamme. Sans le dire ouvertement, il avait un mépris pour Dakar, encore plus pour les expropriations historiques de terres casamançaises, les expéditions punitives de l’armée et les compromissions principielles. C’était un homme de Dieu, qui avait toujours essayé de le rester, même percuté par la violence de l’histoire et de la politique. La Casamance était comme un rêve, celui d’une génération. Cependant, les rêves deviennent cauchemars quand ils sont interminables, pire, inachevés. Ils deviennent l’hypothèque d’une vie. Dieu était la face de la sienne, qui essayait d’absoudre le mal dont il a pu être complice, même si chronologiquement, il en fut d’abord victime.
Des séjours carcéraux à l’assignation à la maison de Santhiaba, la réclusion donne, aux âmes prédisposées, le bonus de la sagesse. Si les biographes sénégalais ont une urgente mission, c’est celle de l’étude de la matière Histoire, elle seule. Dans sa complexité infinie. Sans être ni tribunaux populaires, ni procureurs moraux. Augustin Diamacoune Senghor a porté la croix et rêvé d’une bannière, avant de filer vers le repos éternel. C’est presque une métaphore religieuse entre le Bien et le Mal, et au milieu, surtout, le possible.
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