Assassinat de Thomas Sankara : Le rôle que Charles Taylor a joué...

Vendredi 8 Octobre 2021

La thèse est connue et alimente depuis trois décennies les discussions autour de l’assassinat de Thomas Sankara. Washington, qui goûtait peu les diatribes anti-impérialistes de Thomas Sankara et s’inquiétait de ses liens – réels ou supposés – avec le Cuba de Castro et la Libye de Kadhafi, aurait agi en coulisse pour éliminer un président décidément gênant.

Selon "Jeune Afrique", la thèse de l’implication américaine dans l’assassinat du père de la révolution burkinabè a connu un regain d’intérêt en 2015, lorsque la RAI a diffusé « Ombres africaines », un documentaire réalisé par le journaliste d’investigation italien Silvestro Montanaro. S’appuyant notamment sur les témoignages de Jewel Howard Taylor, l’ancienne épouse de Charles Taylor, de Momo Jiba, l’ex-aide de camp de l’ancien président libérien, ou encore de Cyril Allen, un responsable de son parti, le National Patriotic Front of Liberia (NPFL), Montanaro affirmait dans son film que la CIA avait prêté main forte à la France pour provoquer la chute de Sankara.

À l’en croire, Charles Taylor, qui s’était « évadé » le 15 septembre 1985 d’une prison ultra sécurisée dans le comté de Plymouth (Massachusetts), aurait joué un rôle central dans ce complot international. Les services américains l’auraient aidé dans sa fuite, avec deux objectifs en tête : d’une part, déstabiliser le régime de Samuel Doe (torturé et assassiné cinq ans plus tard) et d’autre part, infiltrer le mouvement sankariste, en « neutraliser » la principale figure, et faire du Burkina une base arrière pour s’attaquer au président libérien.


Autre motif de divergence : la question du soutien à Charles Taylor, qui voulait renverser le président libérien Samuel Doe et installer un régime révolutionnaire. Charles Taylor venait d’être expulsé du Ghana. Il bénéficiait de l’appui de Mouammar Kadhafi, qui cherchait notamment à étendre son influence en Afrique de l’Ouest.

Charles Taylor est venu à Ouagadougou. « Je l’ai hébergé une nuit », se souvient Mousbila Sankara. Selon plusieurs acteurs burkinabè, Charles Taylor a en effet demandé à Thomas Sankara son appui. « Il voulait installer des camps d’entraînement au Burkina. Thomas Sankara lui a opposé une fin de non-recevoir », explique Fidèle Kientega. Le conseiller diplomatique de Thomas Sankara précise qu’il a rencontré Charles Taylor à Ouagadougou à deux ou trois reprises, qu’il n’a jamais assisté aux audiences, mais qu’il en a lu les comptes rendus. Fidèle Kientega en a également discuté avec le président burkinabè et celui-ci a affirmé que le Burkina Faso ne pouvait pas servir de base pour déstabiliser un pays.


Et l’ambassadeur de rapporter les propos que Thomas Sankara aurait tenus : « S’il veut rester ici parce qu’il n’arrive pas à rester chez lui, c’est normal. S’il veut, il n’a qu’à prendre une table comme tous les autres pour vendre des lunettes ou n'importe quoi sur le bord de la route à Ouagadougou, d’accord. Mais pas question d’être ici pour faire une base arrière. La Libye voulait qu’on l’entretienne, on a dit non. »



« Il [Charles Taylor] voulait installer des camps d’entraînement au Burkina », Mousbila Sankara, ancien ambassadeur du Burkina à Tripoli


Charles Taylor a-t-il rencontré Blaise Compaoré ? A-t-il trouvé une oreille plus compréhensive de côté ? Difficile de l’attester. En 2008, vingt et un ans après les faits, lors des travaux de la Commission Vérité et Réconciliation au Liberia, l’ancien chef de guerre libérien Prince Johnson a révélé avoir été sollicité, avec Charles Taylor, pour participer à l’élimination de Thomas Sankara. En octobre 2008 sur RFI, Prince Johnson a même affirmé que la mort de Sankara aurait été décidée par Blaise Compaoré, avec l'aval du président ivoirien Félix Houphouët-Boigny.



« Il fallait répondre positivement à la requête de Blaise, c’est-à-dire se débarrasser de Thomas Sankara. » Prince Johnson, RFI, 2008


Le 15 octobre, Charles Taylor se trouvait-il à Ouagadougou ? Des Libériens ont-ils participé à l’opération qui coûta la vie à Thomas Sankara ? Là encore, aucune de nos sources ne se déclare en mesure de le certifier. Certains ne le pensent pas, d’autres affirment qu’ils n’ont entendu parler de cette question que récemment, qu’ils n’étaient pas au courant à l’époque. La plupart des acteurs que nous avons rencontrés estiment que ceux qui ont tiré sur Thomas Sankara sont des soldats burkinabè de la garde présidentielle.

Ce qui semble faire consensus en tout cas, c’est qu’à la suite du refus de Thomas Sankara d’accueillir favorablement la demande d’appui de Charles Taylor, les relations entre le « guide libyen » et le jeune capitaine se sont détériorées. « Tout cela a jeté un froid », reconnaît Mousbila Sankara. Fidèle Kientega ajoute : « Kadhafi, au regard de sa puissance d’argent, voulait des gens qui lui répondaient au doigt et à l’œil, et ce n’était pas le genre de Thomas. Qui que vous soyez, s’il avait quelque chose à dire, il le disait en face. »



Signe qui en dit long : le 1er septembre 1987, ce n'est pas Thomas Sankara, mais Blaise Compaoré qui assiste à Tripoli aux cérémonies du 18e anniversaire de la prise de pouvoir par Mouammar Kadhafi. « J’étais là-bas, se souvient Mousbila Sankara. Kadhafi a insisté pour qu’il vienne. C’était un signe d’éloignement et ils l’ont accepté comme tel. » L’ambassadeur dément l’information selon laquelle Blaise Compaoré aurait prolongé sa visite à Tripoli et serait resté plus longtemps que prévu… Mais il assure que Blaise Compaoré a rencontré le guide libyen et qu'il a eu aussi des entretiens avec l’un de ses puissants conseillers, Moussa Koussa, qui était selon son expression « le Foccart de Kadhafi  »
Dans la même rubrique :