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Barth et Sonko, duo de choc : Cette union sacrée sera-t-elle durable ?

Jeudi 24 Février 2022

Adeptes d’un ton radical face au régime de Macky Sall, les deux opposants viennent de remporter les mairies de Dakar et Ziguinchor au sein de la même coalition. Cette union sacrée sera-t-elle durable ?

Les similitudes entre les deux hommes ne manquent pas. Quadragénaires – l’un est né en 1974, l’autre en 1975 – et opposants déterminés au régime de Macky Sall, chacun vient d’être élu maire dans un bastion important lors des locales du 23 janvier : à Ziguinchor, en Casamance, pour Ousmane Sonko ; à Dakar pour Barthélémy Dias. Mais entre ces deux-là, qui ont uni leurs forces au sein de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW), les comparaisons vont plus loin. Chacun vit en effet avec, suspendue au-dessus de la tête, une épée de Damoclès judiciaire susceptible de contrarier une trajectoire politique jusque-là prometteuse.

Coups de feu et accusation de viols
Le 2 mars, à peine investi dans ses nouvelles fonctions, le maire de Dakar devra comparaître devant la cour d’appel de la capitale. L’affaire est ancienne mais les faits sont sérieux. Le 22 décembre 2011, à la veille de la désignation d’Abdoulaye Wade par le Parti démocratique sénégalais (PDS) pour être candidat à un troisième mandat, un attroupement de militants de son parti se forme devant la mairie de Mermoz-Sacré-Cœur, à Dakar, que Barthélémy Dias occupe depuis 2009 –  des « nervis » recrutés pour l’impressionner car il s’opposait alors au mandat de trop du président sortant, affirmera-t-il.


En pleine journée, devant les caméras et sous les yeux des journalistes, l’édile d’arrondissement, une arme à feu dans chaque main, tire à plusieurs reprises vers les hommes stationnés à une centaine de mètres de là, sous le regard impassible de deux policiers en tenue et d’un commissaire en civil, appelés à la rescousse. Lors de ces échauffourées, l’un des partisans du PDS, Ndiaga Diouf, trouvera la mort. Barthélémy Dias, lui, est alors placé en détention provisoire pendant près de six mois. Lorsque son procès se tient, en avril 2018, impossible de démontrer que la balle meurtrière provient d’une de ses armes – dont l’une est factice. Mais « Barth’ », comme on le surnomme, est condamné à une peine de six mois de prison, couverte par sa détention provisoire. Une condamnation qu’il conteste et qui l’a conduit à faire appel.


Ousmane Sonko [qui n’a pas souhaité s’exprimer dans le cadre de cet article] a, lui aussi, maille à partir avec la justice. Depuis mars 2021, il est inculpé et placé sous contrôle judiciaire dans le cadre d’une accusation de viols portée par une jeune Sénégalaise qui officiait dans un salon de massages où il avait ses habitudes en raison de douleurs persistantes aux lombaires. D’après le témoignage d’Adji Sarr, lui aussi aurait porté sous sa veste deux armes, qu’il déposait ostensiblement sur une table avant de recevoir un massage. Depuis un an, l’instruction stagne. Et aucune confrontation n’a encore eu lieu entre les deux principaux protagonistes. Mais si la procédure devait déboucher sur un procès, qui peut préjuger des répercussions politiques qui pourraient s’ensuivre ?


Des dossiers à risque… pour l’exécutif
« Macky Sall est en réalité plus embêté que Barthélémy Dias et Ousmane Sonko par les affaires judiciaires qui les visent. Car si l’un ou l’autre était condamné prochainement, on se dirait que c’est parce qu’ils ont gagné à Dakar ou Ziguinchor », assure un responsable politique de l’opposition qui connait les deux hommes. Dans la mouvance présidentielle, un ancien ministre de Macky Sall confirme ce diagnostic : « S’ils étaient empêchés d’exercer leur mandat et de concourir aux prochaines élections, cela se retournerait contre le régime. Je ne pense pas que la situation en arrivera là. »


Faut-il en déduire que la justice, dans ces dossiers sensibles, laissera du temps au temps ou s’efforcera de ne pas placer l’un ou l’autre des deux hommes dans une posture susceptible d’entraver son ascension politique ? Dans l’immédiat, invoquant ses nouvelles fonctions de maire de Ziguinchor qui l’obligeront à voyager hors du Sénégal, Ousmane Sonko vient de déposer une nouvelle demande visant à lever le contrôle judiciaire qui pèse sur lui depuis près d’un an.

CE QUI LES LIE SERA-T-IL PLUS FORT QUE CE QUI POURRAIT LES SÉPARER ?

« La meilleure défense, c’est l’attaque, résume le responsable de l’opposition. Ousmane Sonko et Barthélémy Dias sont inquiétés par la justice et par le pouvoir. Ils ont donc tout intérêt à s’allier. » Du moins dans l’immédiat. Car au Sénégal, des échéances électorales importantes se profilent. Des législatives, le 31 juillet, et surtout une présidentielle, début 2024. Barthélémy Dias et Ousmane Sonko sauront-ils pérenniser l’alliance nouée lors des locales ? « Même s’ils viennent d’horizons différents, ils sont de la même génération et ont un parcours parallèle. Ce qui les lie sera-t-il plus fort que ce qui pourrait les séparer ? », s’interroge la même source.

Opposition intransigeante
« Certes, Ousmane Sonko et moi n’avons pas le même vécu politique, résume Barthélémy Dias. Il est un ancien fonctionnaire des Impôts et domaines, victime d’une injustice qui lui a valu son exclusion de la fonction publique ; quant à moi, je suis un pur produit des jeunesses politiques du Parti socialiste [il a été exclu de ce parti en décembre 2017, ainsi que 64 autres cadres et militants accusés de « dissidence »]. En revanche, nous nourrissons une ambition commune : servir le Sénégal et honorer notre génération en apportant notre modeste contribution à l’avenir de ce pays. Même si nous nous battons dans des formations politiques différentes, nous partageons les mêmes principes et  les mêmes valeurs : la dignité, la loyauté, la fidélité, le courage, la citoyenneté, le respect, le partage et la générosité. »

Sénégal : Macky Sall face à Ousmane Sonko, deux styles aux antipodes pour un duel
Selon Bassirou Diomaye Faye, président du mouvement des cadres des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) et très proche collaborateur d’Ousmane Sonko, deux dimensions importantes président à la proximité qu’ont établie les deux hommes : « D’abord, une convergence de vues à propos de la souveraineté des pays africains et une volonté de s’affranchir de la tutelle néocoloniale ; ensuite, leur persécution par le système judiciaire sénégalais et leur analyse similaire en vue de réformer en profondeur les relations entre les différents pouvoirs. »

ILS SONT FOUGUEUX, ONT LE VERBE HAUT ET FORMULENT CONTRE LE POUVOIR DES CRITIQUES SANS CONCESSION

« Leur convergence apparaît d’abord au niveau de leur tempérament », observe quant à lui le journaliste Alassane Samba Diop, directeur du groupe eMédia, qui interviewe, depuis des années, les principaux responsables politiques du pays. « Tous les deux sont fougueux, ils ont le verbe haut et ils formulent contre le pouvoir des critiques sans concession. »

De fait, même si leur parcours et leur style respectifs diffèrent, les deux hommes ont en commun une posture d’opposition intransigeante face au régime. « Traditionnellement, la société sénégalaise privilégie le consensus et le dialogue, analyse le spécialiste en sociologie électorale Alassane Bèye, de l’université Gaston-Berger de Saint-Louis. Or quelqu’un comme Barthélémy Dias se montre clivant. À Dakar, ce discours radical a recueilli un écho favorable. »

Capter un électorat jeune
Au sein de la majorité présidentielle, un cadre de Benno Bokk Yakaar fait la même analyse, tout en l’assaisonnant d’une touche d’ironie : « En matière de marketing politique, ils essaient de capter un électorat jeune, turbulent, qui est au fond celui qui avait porté Macky Sall au pouvoir en 2012. Leur ton volontairement agressif, qui détonne, a pour objectif de cibler ce segment majoritaire de la population en lui servant le discours qu’il a envie d’entendre. »

« Dans l’univers politique sénégalais où les chefs de partis adoptent traditionnellement un langage policé et laissent habituellement les invectives à leurs lieutenants, le style de Barthélémy Dias et celui d’Ousmane Sonko se ressemblent furieusement », abonde l’éditorialiste Ousseynou Nar Guèye, fondateur du site d’information Sen’Tract.


Malgré leurs nombreux points de convergence, une chose les distingue toutefois. Ousmane Sonko, qui a fondé en 2014 le Pastef, sera, selon toute logique, candidat à la présidentielle de 2022. Barthélémy Dias, quant à lui, est un disciple de Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar. Or ce dernier, comme il l’a annoncé à Jeune Afrique en décembre, compte bien se présenter, lui aussi, lors de cette échéance. Dans ces conditions, difficile d’imaginer que les parcours respectifs d’Ousmane Sonko et de Barthélémy Dias poursuivront indéfiniment leur trajectoire parallèle.

Faux jumeaux
Entre ces deux faux jumeaux de la scène politique sénégalaise, jusqu’où pourrait perdurer l’alliance nouée lors des locales ? Jusqu’aux législatives du 31 juillet, probablement, puisque chacun y a intérêt face à la vaste coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar.

« L’opposition va sans doute tirer les leçons de ses divisions passées lors des législatives de 2017 et des locales de 2022, elle aura donc la volonté de maintenir la dynamique unitaire de Yewwi Askan Wi, analyse Alassane Bèye. On voit bien qu’Ousmane Sonko a su lâcher du lest concernant certaines investitures afin de ménager ses différents alliés au sein de YAW. » Selon le chercheur, les résultats obtenus par l’opposition lors des élections locales pourraient préfigurer un rééquilibrage à son profit à l’Assemblée nationale, « d’autant que, contrairement aux locales, les Sénégalais de la diaspora pourront alors voter ».


Mais qu’en sera-t-il en 2024, lorsqu’il n’y aura qu’un seul fauteuil à pourvoir ? Arrivé troisième avec 15,67 % des suffrages, Ousmane Sonko avait réussi une belle percée en 2019. Certes, Macky Sall avait remporté le scrutin dès le premier tour et Idrissa Seck (Rewmi) avait devancé Sonko de quelques points, à 20,51 %. Mais en 2024, la donne sera différente. D’abord parce qu’aux termes de la Constitution, Macky Sall n’est pas censé briguer un troisième mandat. Ensuite parce qu’Idrissa Seck, qui avait bénéficié du report des voix des électeurs dont les candidats avaient été empêchés de concourir, a entre-temps réintégré le giron présidentiel, tout en voyant son parti, Rewmi, accuser un net reflux dans son bastion historique de Thiès.


Mais Barthélémy Dias se montre confiant : « En 2024, on verra si la coalition présentera un candidat unique ou plusieurs mais là n’est pas l’important. Notre priorité est de “libérer le peuple”. Et cette coalition sera reconduite aux législatives, cela a déjà été débattu. Ce qui s’est passé lors de ces locales est une excellente chose, estime Barthélémy Dias. Nous n’avions pas réussi à nous mettre d’accord aux législatives de 2017 en raison d’ambitions qui, pour certains, étaient démesurées. Mais au lendemain de ces locales, je pense que chacun sait désormais à quel saint se vouer. »


Si Barthélémy Dias ne désigne personne explicitement, nul besoin de lire dans les cauris pour deviner qui pourrait se sentir visé par cet avertissement. D’autant que le nouveau maire de Dakar enfonce le clou : « Oui pour une unité plus large mais pas pour faire la promotion d’individus ou de partis politiques. Ceux qui aspirent à diriger ce pays doivent comprendre que la politique se fait sur le terrain, au Sénégal. » Le candidat virtuel du PDS, Karim Wade, exilé au Qatar depuis 2016 et qui n’a jamais obtenu de mandat électif, ne semble pas s’inscrire dans ces critères…

De son côté, Bassirou Diomaye Faye, de Pastef, précise que la charte signée par les adhérents de YAW a vocation à s’appliquer aussi bien lors des législatives de 2022 que lors de la présidentielle de 2024. « Concernant les législatives, nous nous efforcerons de consolider ce qui a bien fonctionné et de corriger le reste. »

Candidature unique ?
Pour la présidentielle, la règle du jeu, à ce stade, semble claire : à défaut d’envisager une candidature unique – Graal généralement impossible à atteindre –, les partis signataires s’engagent dès à présent à soutenir collectivement le candidat qui parviendrait à se hisser au second tour.


Reste à savoir qui, parmi les ténors de l’opposition, sera en mesure de s’aligner sur la ligne de départ en 2024, alors que plusieurs d’entre eux sont entravés par des procédures judiciaires passées ou en cours. « Le Sénégal n’est plus une démocratie mais il le redeviendra, assure Barthélémy Dias. Dans une démocratie qui se respecte, on ne liquide pas ses adversaires via des complots judiciaires. Cela ne se fait pas ! »

Et de conclure, menaçant, à propos de la procédure pour viols visant son allié : « Si cette affaire judiciaire devait conduire à écarter Ousmane Sonko de la scène politique, nous ne l’accepterions pas. Quel que soit le prix à payer ! »


Source: Jeune Afrique
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