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A quoi servent les bases militaires françaises en Afrique ?

Mardi 3 Octobre 2017

S’arrogeant de fait, un droit d’intervention militaire, qu’importe ce que prévoyaient les accords, la France se réservera seule le droit d’apprécier, selon ses intérêts, chaque situation et finalement d’agir en conséquence. L’histoire contemporaine des crises politiques africaines nous l’a démontré, maintes fois, et il ne s’agit pas d’énoncer des choses dans l’abstrait mais bien au contraire, de donner des exemples concrets qui édifieront l’opinion sur les dangers d’une présence militaire étrangère qui peut, à tout moment, constituer une menace pour la stabilité et la paix du pays d’accueil. La détermination de la France à sauver des dictatures et à les maintenir au pouvoir, s’explique par l’analyse politique selon laquelle la défense de ses intérêts est à ce prix.

Aussi, il est inutile de débattre de la légalité, encore moins de la légitimité d’une intervention militaire pour mater des manifestations considérées comme des troubles intérieurs, des atteintes à l’ordre public, ou des opérations visant, soit à écraser une tentative de Coup d’Etat, soit pour soutenir un Coup d’Etat car, dans la pratique, la France décidera d’agir "à la carte". En fin de compte, ce ne sont pas de véritables accords. Ce sont de simples bouts de papier servant de prétextes. La preuve, c’est qu’en l’absence de tout accord, toute une panoplie de subterfuges est présentée à l’opinion : entre autres, la protection des ressortissants français, ou encore pour le Tchad, que les rebelles seraient des islamistes ! Le prétexte de la protection de ses ressortissants installés dans le pays d’accueil en proie à des troubles a été un grand classique pour intervenir. Or, si l’on fait le bilan des risques courus par les Français installés en Afrique lors des crises, il est pratiquement nul. C’est dire...

D’ailleurs, dans le cas du Mali, le Général français Henri Bentegeat avait bien expliqué que "la France n’avait pas conclu des accords de défense avec le Mali", on a ressorti donc l’argument des islamistes pour intervenir.

A scruter le positionnement des différentes bases militaires en Afrique, l’on constate aisément une complémentarité, un système de vases communicants entre elles, ce qui permet une harmonie dans l’action et une réactivité rapide et efficace. Par exemple, c’est de la base de Dakar et de N’Djamena que les premiers militaires français sont partis vers le Mali. Notons que, dans l’histoire mouvementée de l’espace françafricain, on peut énumérer plusieurs types d’interventions militaires.

Le Coup d’Etat organisé par la France contre le Chef d’Etat du pays d’accueil : cela s’est déroulé, en 1979, en RCA. La France décide de renverser Bokassa, absent du pays, en visite en Libye pour sceller un rapprochement avec Khaddafi. David Dacko qui vivait en France est embarqué à bord d’un avion militaire français en direction de la base militaire française de N’Djamena. Il passe la nuit dans la base et au petit matin, il monte avec des militaires français dans un avion Transall transportant aussi des armes de guerre et des chars pour Bangui. Dès leur arrivée à destination, les soldats français attaquent et prennent le Palais présidentiel. Ils y installent David Dacko promu nouveau Président du pays. Au Tchad, le Président Malloum dont le pays a été utilisé pour fomenter le Coup d’Etat, apprend, comme tout le monde, au petit matin, l’annonce de la nouvelle de changement de régime en RCA. Edifiant !

Nous avons un autre cas de figure d’une ingérence militaire manifeste : au Sénégal, au plus fort de la crise entre le Président Senghor et Mamadou Dia, Président du Conseil, les militaires français ont pris position et gardé tous les points stratégiques de la Capitale, en soutien à Senghor. On peut le voir dans les films de l’Institut National de l’Audiovisuel français, cette démonstration de force visait à envoyer un signal fort à une partie des forces armées sénégalaises qui souhaitaient prendre position en faveur de Mamadou Dia.

En Côte d’Ivoire, récemment, lors de la crise entre Gbagbo et Ouattara, on a assisté à une offensive militaire française menée par des Mirages et Jaguars pour détruire toute l’aviation ivoirienne. Devinez de quelle base militaire, ces avions de guerre sont partis : N’Djamena, Dakar ou Libreville ? Est-ce que cela ne pose pas un problème entre les pays africains, dans leurs relations ? Dans la mesure où leur territoire est utilisé, à leur insu, pour agresser un pays africain, un pays frère.

En ce qui concerne le Tchad, ce pays est un verrou stratégique fondamental pour le dispositif militaire français en Afrique, qu’il faut absolument contrôler, quel que soit le prix qu’induisent les déchirements internes. Ce pays à l’histoire politique mouvementée est un véritable laboratoire pour juger de tout ce qu’est capable de faire une force armée étrangère agissant en toute impunité et hors contrôle. Rappelons que, ce n’est qu’en juillet 2008, qu’une réforme constitutionnelle dote le Parlement français de quelques pouvoirs. En effet, désormais, le gouvernement doit informer le Parlement réuni en comité très restreint, dans les 3 jours qui suivent une Opération extérieure ensuite, au bout de 4 mois, faire valider le maintien et la poursuite de l’OPEX par le Parlement, qui, par ailleurs, n’a jamais manqué au gouvernement, la précision est utile.

Quand on se penche sur les multiples interventions militaires, on voit se déployer des forces à deux visages. La première facette est celle d’une armée qui défile fièrement lors de la fête du 14 juillet sur les Champs Elysées, c’est une armée républicaine d’une société démocratique et comme le disait, Nicolas Sarkozy aux Invalides, en 2011, dans un discours rempli d’anaphores : « l’armée française, l’armée française, ce n’est pas qu’un instrument parmi d’autres d’une politique, l’armée française ; c’est l’expression la plus achevée de la continuité de la nation française dans l’histoire. » Cette ode à l’armée française est un passage obligé pour tout Président de la république car cette institution incarne le plus la nation française, mieux « elle fait corps avec la nation » précise Sarkozy.

Toutefois, une grande partie de la nation française ignore tout des OPEX dont elle ne voit que des images de soldats glorieux en train d’évacuer ses ressortissants. La véritable facette, celle des interventions extérieures musclées conduites sur les territoires de ses anciennes colonies est largement occultée par les médias mais aussi passée sous silence devant le Parlement. Dans ces pays africains, totalement dominés, la France s’est octroyé un véritable permis de tuer. Ainsi, au Tchad, vers les années 1970, par exemple, l’armée française pour défendre le régime de Tombalbaye, puis celui de Malloum, a rasé des villages, arrêté, torturé, massacré des hommes, des femmes et des enfants, les populations apparentées aux rebelles.

On entend souvent dire, que de tels faits ne sont pas possibles de nos jours. Mais constatons, que les vieux démons sont toujours là, encore au Tchad, en 2006, ce sont des mirages qui ont bombardé les colonnes des rebelles tchadiens pour les affaiblir et faire échouer leur offensive contre la Capitale. A nouveau en 2008, l’engagement français a été sans limites, par voie aérienne, des hélicoptères ont bombardé dans la Capitale les positions rebelles ; des militaires français se sont engagés dans les combats, pour reprendre l’aéroport aux rebelles, ils les ont pilonnés en continuité au moyen des canons et des chars... M Jean François Bayart avait écrit le 25 février 2008, une tribune intitulée : « Tchad : L’impérialisme français en première ligne du conflit sanglant » dans laquelle, il dénonce «  la participation française à la boucherie  ». Idriss DEBY a été sauvé par les Commandos des Opérations Spéciales, les hélicoptères et les mirages français. Rien n’avait changé, 50 ans plus tard.

Les interventions militaires sont multiformes : maintien de l’ordre, survols aériens et bombardements, activités de renseignements militaires et civils pour le pouvoir. Au Gabon, à plusieurs reprises, sous le régime d’Omar Bongo, les militaires français sont intervenus à Libreville et à Port Gentil. En Côte d’Ivoire, face aux manifestants aux mains nues, comme un documentaire de Canal plus l’a révélé, les éléments de la base militaire sont sortis de l’ombre, de la discrétion pour "nettoyer”, véritable bras armé du pouvoir politique français. Une soixantaine de morts et plus de 150 blessés. Vous avez dit, crimes de guerre ?

Devant de milliers de jeunes Ivoiriens, la France, brutalement, venait de jeter les masques et de montrer aux Ivoiriens et aux autres Africains, à quoi sert une base militaire installée dans le pays. Si la France a pu imposer sa loi, la loi du plus fort, elle a perdu quelque chose de très important : à savoir que, par cette prise de conscience brutale et douloureuse des populations ivoiriennes qui ont vu tomber leurs enfants, exactement comme l’ont vécu, les familles tchadiennes dans leur chair et dans leur sang, plus rien ne sera comme avant en Côte d’Ivoire. Leur regard sur ces forces étrangères ne sera plus jamais le même. Si grâce, à sa force militaire, l’armée française a pu gagner la guerre, elle n’a pas pu gagner la paix..

Au Tchad, lorsque Mitterrand et Khaddafi, en ralliant Oumar Al Bechir à leur complot, décidèrent de lancer la machine DGSE pour déstabiliser le régime du Président Habré, les militaires de la base de Ndjaména ont été mobilisés pour agir en conséquence. On a vu le Colonel de la base faire décoller les jaguars pour retarder, voire empêcher l’atterrissage de l’avion du Président Kenneth Kaundai qui venait en visite officielle au Tchad. L’avion du Président zambien dût tourner, tourner et tourner pendant un long temps dans les airs avant de pouvoir atterrir. Le Gouvernement tchadien expulsa le Colonel de la base, auteur de la grosse provocation. Ce fait démontre l’emploi de l’armée française par le pouvoir politique dans la déstabilisation d’un pays et son utilisation pour une mission autre que celle qui a permis son installation dans le pays.

On peut signaler que, dans le procès Habré, M Abdouramane Gaye avait affirmé dans son procès verbal d’interrogatoire ; avoir fait le voyage à bord d’un avion militaire français de la base militaire de Bouar, en RCA, et être ainsi, arrivé à Ndjamena à l’aéroport de la base militaire française du Tchad. Il avait déclaré vendre des bijoux en or aux militaires français. Chacun peut comprendre qu’un avion militaire français n’a pas le droit de transporter clandestinement des personnes civiles d’un pays à l’autre, violant ainsi les impératifs de sécurité intérieure et les accords qui définissent sa mission. Quand on sait que M Gaye transportait des bijoux selon ses dires, alors la fraude douanière en complicité avec les militaires français est caractérisée.

Toujours au Tchad, l’implication des éléments de la base militaire française s’est encore manifestée par l’entrée en action du fameux avion Atlantique, véritable espion volant amené de la base de Libreville pour survoler les zones de combats qui opposaient les hommes de Deby aux forces gouvernementales du Président Habré. Cet appareil transmettait tous les renseignements qu’il pouvait recueillir et donnait les positions de troupes gouvernementales aux forces spéciales françaises aux côtés d’Idriss Déby. Cet avion Atlantique avait aussi eu à effectuer des missions de renseignements, en survolant les zones de combats en Casamance sous le régime d’Abdou Diouf au plus fort de la guerre en Casamance. Filmer, photographier, enregistrer et garder sous la main les éléments qui peuvent demain être utilisés contre le régime, au besoin. Telles sont les méthodes.

Cette série d’interventions militaires, dans de nombreux pays africains, n’a été possible que grâce à une forte présence militaire française sur le sol africain et qui, partout, a démontré son utilité et son efficacité à déstabiliser tel ou tel autre régime en place. C’est aussi l’occasion de s’interroger, dans quelle autre partie du monde, la France pourrait-elle avoir et exercer une telle influence sur le devenir de nombreux pays ? Ayant vécu ces situations, certains dirigeants africains ont pensé y mettre fin. A ce jour, aucun n’a réussi à faire partir une base militaire. Dés que la question est étudiée, survint un bouleversement pour mettre fin au régime en question, on l’a vu au Tchad avec le Président Habré ; et même au Sénégal, la question de la base militaire constitua un des éléments ayant pesé sur le sort du Président Wade.

Le danger que représente une base militaire étrangère est l’une des raisons, voire la raison fondamentale qui explique que, quand des dirigeants sont souverains, ils n’autorisent jamais leur implantation dans leur pays.

À titre d’exemples, malgré la pression de Boko Haram sur l’armée nigériane, malgré les demandes émanant des Français, les autorités nigérianes ont refusé l’implantation de base militaire française sur le territoire nigérian.

L’état-major camerounais, dans sa guerre contre Boko Haram avait refusé l’implantation d’une base militaire française au Nord du pays. A un moment donné, avant de mener des offensives, les Officiers camerounais avaient demandé des photos à l’Opération Barkane installée au Tchad et qui effectuait des survols des zones abritant des positions de Boko Haram. Un devis de 50.000 euros leur a été présenté pour un survol de 30 minutes par les responsables de l’Opération Barkane. Ce devis indécent a précipité l’intervention du Tchad au Cameroun et la mise en place quasi forcée d’un point d’appui militaire français au Nord Cameroun ! Consternant !

Après une coopération de plus d’un demi-siècle, comment peut-on juger la capacité des armées africaines à faire face à leur mission de sécuriser le territoire national et de le défendre ? Autrement dit, si les interventions militaires françaises ont été efficaces pour leur gouvernement en imposant ses choix, qu’en est-il des forces armées africaines entraînées, équipées et organisées par les Officiers français depuis 57 ans.

Si l’on voit le palmarès des armées africaines fortes et dotées de moyens militaires puissants, aucune armée du pré-carré francophone n’a une place honorable dans ce classement continental. Révélateur ! Donnons la parole à des Généraux français pour donner leur point de vue, sur les armées de l’espace francophone. Le jugement est sévère ainsi s’exprimait un général devant les députés français : "Ce sont des armées qui ont une qualité qui laisse à désirer, des faiblesses dans le commandement et dans la capacité à conduire des opérations militaires, des troupes inorganisées et difficiles à mobiliser, le matériel inadéquat et obsolète ». Tel serait le bilan de 57 années de coopération militaire, c’est l’occasion de souligner que, jamais, les pays africains n’ont, eux, de leur côté, procédé à une évaluation de cette coopération, énoncé leurs satisfactions, pointé les insuffisances, listé les changements souhaités et surtout posé leurs attentes.

Si on part du principe fondamental que le rôle d’une armée, c’est avant tout ; d’assurer la défense du territoire et son intégrité, alors, demandons nous, si aujourd’hui, les armées de l’espace françafricain sont à même de répondre à cette mission. Disons, pour y répondre que ; 500 hommes bien armés et équipés sont à même de faire tomber n’importe quelle armée de l’espace francophone avec des réserves pour les seuls Tchad, et Sénégal.

Au Tchad, notamment, où on a vu, en 1979, comment, face aux rebelles du Premier Ministre Hissein Habré, les soldats de l’armée du général Félix Malloum formés par l’armée française, ont battu en retraite, en catastrophe. On peut aussi citer les armées ivoirienne, centrafricaine, malienne, toutes équipées et organisées sur le schéma défini par les instructeurs français ; elles se sont toutes écroulées lors d’une crise qui, il faut bien le préciser était d’intensité militaire moyenne.

Cela veut dire que ce schéma n’a pas été efficace, ni capable d’assurer la défense des Institutions légales du pays. Ni les hommes, ni les moyens n’étaient au rendez-vous. Pourquoi ? Cet échec n’est-il pas, aussi, celui de la coopération militaire avec la France ? De cette coopération cinquantenaire est née une armée qui n’a pas pu faire face à sa mission principale. Dans ces nombreux pays en conflits, des forces "inorganisées", selon le jargon militaire, ont mis en déroute une armée conventionnelle dirigée par des Officiers formés à Saint Cyr ! Problématique !

Au Tchad, le Président Habré a mis un autre schéma en place pour faire la guerre contre les forces libyennes et autres. Des moyens et une stratégie tchadienne originale issue de l’esprit guerrier, du courage et de la détermination de ses fils à défendre la patrie. Elle a été synonyme d’une victoire extraordinaire.

Malgré son départ du pouvoir, et malgré les multiples tentatives françaises de casser cette organisation pour revenir à la leur, cette organisation a été maintenue par Idriss Deby et aujourd’hui, elle fait encore ses preuves puisqu’on a besoin de l’armée tchadienne pour faire la guerre aux djihadistes partout.

Cela veut dire que les Africains doivent croire en leurs propres capacités, en leurs valeurs mobilisatrices qui parlent à leurs soldats pour que ceux-ci s’engagent dans la défense de leur pays en crise ou menacé. Cela veut dire aussi, que les responsables politiques et militaires africains ne doivent pas oublier, eux, que, c’est grâce aux Africains, à leur courage, à leur sacrifice, à leur mobilisation que la France a pu se libérer et gagner les guerres. Ils ne doivent donc jamais douter de leurs hommes pour défendre la patrie et l’honneur du pays.

Cela veut dire aussi, qu’il faut bien comprendre, que ce n’est pas dans l’intérêt des autorités d’une base étrangère de former une armée nationale redoutable, à même demain, de s’opposer à elle, pour contrecarrer une intervention hostile par exemple. Que doit-on tirer comme leçon ?

En observant les méthodes et la mise en place de la coopération militaire française pour former les armées africaines, on constate, d’abord, qu’elles obéissent à leur propre vision et attentes. Il est ainsi demandé d’être des armées ayant une « bonne tenue », de pouvoir répondre aux sollicitations de la France. Avouez que ce n’est guère mobilisateur.

Autre chose, il est évident qu’à la fois, le pouvoir politique et le pouvoir militaire en France, veillent à contrôler les armées en Afrique, à les tenir pour s’assurer une stabilité dans le pays. Si l’on observe les pays africains hors du champ françafricain comme l’Algérie, le Maroc, l’Afrique du Sud, ils ont réussi à construire des armées nationales selon leur propre schéma et leurs besoins sécuritaires et elles figurent dans le top du classement africain. Une prise de conscience est donc nécessaire pour la sécurisation de nos pays, autrement, dans un futur proche, cette question nous créera d’énormes difficultés compte tenu des enjeux économiques.

La politique dite « de la canonnière » qui s’exprime, à travers, un engagement militaire fait de compromissions et de services rendus à des dictatures, a entraîné la France dans le génocide du Rwanda et l’a même poussé plus loin, quand elle essaya de sauver les génocidaires. Ce drame du Rwanda poursuit toujours l’armée française et nombre d’hommes politiques français qui ont choisi de s’enfermer dans un déni total par rapport à ces questions importantes et sensibles.

Et le mérite du Président Kagamé, est d’avoir mis cette question de la participation des militaires français au génocide des Tutsi, sur la table de ses relations avec la France, là où les autres dirigeants africains mettent la tête dans le sable sur des questions d’importance presque similaire.

La question des crimes commis par l’armée française sur le théâtre de ses interventions militaires en Afrique, en toute impunité, ne pouvait être évacuée en se cachant derrière de pseudo accords, lesquels ne suffisent pas à légitimer des interventions sanglantes. 
L’Etat-major français s’en est inquiété lors de la mise en place de la Cour Pénale Internationale.

Les négociations autour de la reconnaissance de la compétence de la CPI par la France ont été soumises à des conditions. En effet, les Généraux français se sont opposés farouchement à la ratification des statuts de la CPI et ont obtenu que la France soumette la reconnaissance de la CPI à une clause de non exécution de 7 ans à son entrée en vigueur en 2000. Les experts militaires français se donnaient 7 ans pour "nettoyer" et quitter les zones à risque en Afrique et ne plus intervenir militairement. Ceci, pour éviter que des militaires français, auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, soient poursuivis et traduits devant la CPI.

Force est de remarquer que les 7 ans sont passés et rien n’a changé. L’armée française est intervenue en Côte d’Ivoire, au Mali, en RCA sans aucune inquiétude. La parade a été trouvée pour contourner très facilement la CPI : La France continue d’intervenir mais s’arrange pour placer ses forces sous la bannière des Nations Unies. Ainsi donc, passer sous les drapeaux des Nations Unies devenait synonyme d’impunité assurée. Quel monde !

Aujourd’hui plus que jamais, l’Afrique Subsaharienne est définie par le livre blanc du Ministère de la Défense français comme une zone "d’intérêts prioritaires" pour la France. Toutefois, le plus important me paraît que la France n’a plus les moyens de sa politique en Afrique. Face à une Chine trop puissante, elle a dû constituer un bloc avec les États-Unis qui sont, de retour en Afrique pour contrer la progression de la Chine.

En France, le pouvoir politique, depuis de nombreuses années, veut faire des économies sur le budget de la Défense. On demande aux militaires de faire plus avec moins ! Le budget doit être ramené à 2% du PIB d’ici 2025, c’est le souhait du Président Macron.

Face aux enjeux géostratégiques sur le continent, la position de Djibouti en a fait le point de contrôle stratégique du trafic maritime mondial le plus convoité du continent africain. C’est pourquoi de nombreux pays (7) ont installé des bases militaires en acquittant un loyer pour l’occupation des espaces. Ainsi, la rente géostratégique rapporte à Djibouti la somme de 380 millions d’euros par an. D’autres pays ont voulu imiter les autorités djiboutiennes et réclamer un loyer par rapport à l’espace occupé, et ce ne serait que justice. Mais les autorités françaises ont catégoriquement refusé, comme au Tchad, en proposant de donner des dotations en carburant (6.000 mètres cubes par an) pour l’armée ! Le Tchad, devenu pays pétrolier, ayant même une raffinerie, continuait néanmoins à réclamer sa dotation de carburant équivalent à 6 millions d’euros alors que la France versait à Djibouti 30 millions d’euros cash.

Les conditions climatiques avec des températures très dures dans certains pays comme le Nord Mali, le Nord du Tchad, le Niger, rendent la vie des militaires français très difficile ; confrontés aussi, au vent de sable très fin qui s’infiltre partout et détériore très vite les armes, les obligeant à procéder à un entretien quotidien ennuyeux et démoralisant. Dans cette guerre sans fin contre le Terrorisme, on voit bien l’essoufflement, la fatigue, le stress de ces hommes. Aussi, la mise en place de la force du Sahel G5 obéit aussi à une volonté de diminuer drastiquement le nombre de militaires français, et de les faire remplacer par une force africaine devant s’installer et sécuriser, dans la durée, les routes du Sahara. Du Niger où sont les mines d’Areva qui livrent l’uranium produisant une énergie allumant 1 ampoule sur 3 en France, aux champs gaziers de l’Algérie qui ravitaillent aussi la France en produits énergétiques. Sans oublier que cette force du G5 doit aussi empêcher la jonction entre les forces djihadistes en Libye et celles de Boko Haram qui a désormais installé ses pépinières dans toute la sous-région, plaçant celle-ci sous un véritable arc de feu. Face à cette situation difficile, la France sera obligée d’adapter ses moyens militaires à ses objectifs politiques.

Elle se doit, aussi, de tirer les leçons des erreurs commises, se questionner pour comprendre pourquoi les militaires français sont accueillis en sauveurs et ensuite considérés comme des occupants ? Cela nécessite un travail en profondeur aussi bien avec les civils que les militaires mais aussi les Africains. L’emploi de la force a échoué en Irak, en Afghanistan, contre Daech et a montré ses limites au Mali. Encore une fois, gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix. Le livre blanc de la Défense en France a réaffirmé que : maintenir les positions militaires en Afrique est une priorité absolue pour la France, « l’Afrique est notre lieu d’action traditionnel où nous y agissons seuls. Nous sommes membres d’une alliance au sein de laquelle, notre rôle reste marginal, et, il nous faut absolument garder l’Afrique pour avoir pleinement notre place. »

C’est bien noté, mais au vu de la situation du Mali, de la RCA, de la Côte d’Ivoire, du Tchad et tant d’autres, les politiques du chaos et du pourrissement organisé continuent, conduisant à une instabilité généralisée, et à une situation de fragilité extrême des Etats. Ce tableau sombre est aggravé par la caste des élites au pouvoir qui a parfaitement assimilé qu’il faille seulement prêter allégeance à la françafrique, pour être promue et maintenue au pouvoir et ce, quel que soit, par ailleurs, le désastre dans sa gestion des affaires de l’Etat sur le plan politique, économique et militaire.

Le résultat est là, affligeant ; malgré un dispositif militaire français impressionnant sur le plan aérien, terrestre et maritime, un quadrillage complet des territoires, mais aussi des services de renseignements opérant efficacement dans tous les secteurs, l’Afrique est devenu un hub pour le trafic de drogue, de fausse monnaie et est maintenant en proie aux activités terroristes. La responsabilité de cette faillite est partagée et doit être assumée à la fois, par le pouvoir politique français et par les responsables militaires. La France doit réfléchir à sa stratégie de défense en opérations extérieures, en mettant en adéquation ses moyens et ses objectifs politiques, en bonne collaboration avec les forces du pays d’accueil, en mettant en avant la bonne gouvernance et en aidant à construire une armée efficace à même d’assurer la sécurité du pays. Pour asseoir cette orientation, la France doit prendre en compte l’évolution des sociétés africaines, les aspirations de sa jeunesse, elle doit s’atteler à décrypter les causes profondes d’un extrémisme religieux qui progresse partout et de tenir compte que la misère et la répression sont les détonateurs qui propulsent des jeunes de 20 ans vers les djihadistes.

On est malheureusement bien loin du compte. Une chose simple parmi tant d’autres : commencer par expliquer qu’une intervention militaire comme celle au Mali sera encore là dans 15 ans ! Cela éviterait bien de malentendus.

PAR FATIMÉ RAYMONNE HABRÉ
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